Curiosité - Un peu étonnés par cette passagère insolite, des passants marquèrent le pas pour voir dans qu'elle famille elle allait être logée. Dans ce gros hameau céréalier du sersou des années 50, personne de mémoire d'homme personne n'a jamais vu un européen épouser une indigène. Cela n'existait pas. On parle de mariages clandestins ici et là qui auraient été contractés dans le plus grand secret mais aucun habitant n'a apporté la moindre preuve de ces commérages. Et cette preuve pourtant viendra de très loin, par le car Mory qui desservait à l'époque l'Algérois, l'Ouarsenis et les hauts-plateaux du djebel Nador. Ce jour là une jeune martiniquaise descendit du bus légèrement secouée par le voyage. Elle tenait une grande valise dans chaque main. Un peu étonnés par cette passagère insolite, des passants marquèrent le pas pour voir dans quelle famille allait être logée cette étrangère, la curiosité n'étant pas un vilain défaut dans les zones rurales. Le chauffeur, un métropolitain du sud de la France lui prit alors les valises et l'accompagna à ce qu'on appelait «dar Mory» . La société avait en effet loué une pièce à l'année pour permettre à ses chauffeurs d'y passer la nuit, étant entendu qu'il n'y avait pas d'hôtel dans le hameau. On apprendra plus tard qu'elle était sa femme. Pendant qu'il faisait quotidiennement le trajet entre Alger et le sud du pays, la Martiniquaise, qui était sage-femme de profession et diplômée, était sollicitée dans tous les foyers indigènes qui attendaient l'arrivée d'un enfant. Les Européennes la snobaient littéralement et évitaient de lui parler et même de lui dire bonjour . Sans compter les sarcasmes de leurs maris et leurs calambours de mauvais goût à son passage du genre «y a bon banania» ou même «café chocolat». Raillée, isolée dans ce village perdu, sans amis, sans famille à 14 000 kilomètres de ses racines, la pauvre sage-femme ne tiendra pas deux mois. Son époux la découvrira un jour étendue sur son lit, inerte et sans vie. Elle s'était donnée la mort en laissant un seul mot à son chevet «adieu». Pour cacher leur forfait les pieds-noirs feront courir le bruit qu'elle était déprimée et au bord de la démence.