Rituel - Indépendamment des baluchons de linge propre où elles enfouissaient du henné, du meswek, une lavette et un morceau de savon, les Achachyate ne manquaient pas de prendre pour le voyage, quatre à cinq couffins que portaient leurs mioches. Il y a une soixantaine d'années, le village de Achacha n'était qu'un bourg désolé, pratiquement un lieudit sur la route de Ténès. Hormis quelques grosses fortunes détenues par les colons, les Algériens ne vivaient que des maigres produits de l'agriculture. Ici on était paysan de père en fils. Il n'y avait aucun autre débouché pour les jeunes et l'horizon leur était fermé. Exception faite d'un modeste café où l'on servait les clients sur des nattes souvent crasseuses, Achacha était ce qu'on peut appeler aujourd'hui un boui-boui. Et pourtant ce sont les femmes qui vont se montrer les plus entreprenantes dans ce monde où la pauvreté et la précarité étaient le lot quotidien de tous. Comme il n'y avait pas de bain maure, les mères de famille ont mis au point une opération extrêmement astucieuse. A chaque fin de mois, elles demandaient à leurs maris de les accompagner avec leurs enfants, à Mostaganem. La ville comptait à cette époque plusieurs bains maures et pas moins de 100 000 habitants. Indépendamment des baluchons de linge propre où elles enfouissaient du henné, du meswek, une lavette et un morceau de savon, les Achachyate ne manquaient pas de prendre pour le voyage, quatre à cinq couffins que portaient leurs mioches. Il y avait, dans ces sacs en rafia, un peu de tout : du couscous roulé prêt à l'emploi, des figues ou du raisin selon la saison, du matelou', des œufs, des poules et, bien sûr, des herbes médicinales ramassées la veille et dont elles connaissaient parfaitement les vertus. Dès que le bain se vidait de son dernier client, vers 13h 30, les Achachyate se précipitaient vers le cagibi de la caissière pour lui confier leurs produits, à charge pour elle de les vendre moyennant une petite commission, pendant que les galopins leur retenaient une place dans la salle de sudation. L'opération était quintuple : elle permettait aux villageoises de payer leur bain en échange de leurs produits, de faire parfois des bénéfices, de prendre d'autres commandes pour le mois suivant, de lier de nouvelles connaissances et, quelquefois, d'avoir des promesses de mariage pour leurs filles...