Elles se promenaient dans le hammam en toute liberté, ces poules. Il y en avait des grosses, des petites, de toutes les tailles, de tous les poids. Elles poussaient parfois jusque dans la salle commune où, profitant d'un moment d'inattention, elles grimpaient sur les valises et les baluchons de linge pour les souiller de leur fiente. Elles surprenaient tellement les clientes qui arrivaient et qui n'avaient pas eu le temps d'ôter leur haïk que la gérante confuse les chassaient à coups de balai et les regroupaient au fond de son cagibi. Une véritable caverne d'Ali Baba, ce cagibi. En plus des turbulentes gallinacées qui partaient dans tous les sens, il y avait des lapins, des canards et un ou plusieurs paniers d'osier remplis d'œufs ou de figues sèches ou de figues de Barbarie quand c'était la saison. Cette nourriture m'intriguait. Elle m'intriguait au plus haut point. Dans ma petite tête de gamin des villes, je croyais que tous ces animaux et tous ces fruits devaient prendre leur bain et qu'une lavandière spéciale était chargée de les laver, de les nettoyer et de les rendre aussi propres que possible. Il va sans dire que je n'ai jamais vu cette lavandière, je ne l'ai même jamais aperçue. Je me rendis compte avec le temps qu'aucun canard n'a été mouillé et frictionné avec un gant de toilette, qu'aucune figue n'a été essorée et qu'aucune poule n'a été passée au savon et au shampoing. Bref, les œufs et le reste n'ont jamais pris le moindre sauna à la vapeur. Mais alors que faisaient-il là, à portée de la caissière ? Je me suis souvent posé la question. Je compris plus tard qu'ils servaient de monnaie d'échange aux femmes de Achacha, à l'est de Mostaganem. Elles n'avaient que ces petits cadeaux à offrir pour se payer un bain une fois par mois, mais un bain chaud, bouillant qui pouvait durer toute l'après-midi, qui était capable de racler toutes les scories de leur peau, de les réveiller et de leur donner enfin le sentiment qu'elles pouvaient être belles, désirables. Elles l'étaient souvent. Sans colorant, sans cosmétique et sans masque de L'Oréal. Un peu de henné, un peu de “meswek” et un soupçon de khôl et c'était parfait. M. M.