L'empreinte profonde laissée en nous dans notre enfance et notre adolescence correspond souvent à un lieu magique : le bain maure. Autrefois, seules quelques familles nobles pratiquaient le bain de vapeur. C'est ainsi que les Benkritly, Benbernou et Bensmaïne bâtirent de beaux bains maures. Outre le service des ablutions, ils permettaient aux voyageurs de trouver un dortoir à un prix avantageux car nos compatriotes désargentés préféraient les nattes et tapis de bains maures aux lits des hôtels. La salle des bains était une sorte d'étuve où régnait une température suffocante destinée à nettoyer les pores et toutes les parties du corps des impuretés. Une vaste salle de marbre surélevée permettait de s'allonger et de transpirer à son aise. Tout autour de la salle, en forme de rotonde, des fontaines d'où coulait une eau tiède dans des petits baquets cerclés de cuivre et percés de deux trous, afin que les mains puissent les saisir, permettaient un rinçage efficace et rapide. Il suffisait de déverser le contenu du baquet sur la tête et les épaules du baigneur pour le débarrasser du savon dont il était couvert. Quand il jugeait que le temps de sudation était suffisant, un employé muni d'un pagne cachant sa nudité vous remet un linge pour vous couvrir et regagner la salle de repos au sol recouvert de nattes d'alfa ou de tapis de haute laine. Vous vous y étendiez un moment afin que le corps puisse, sans inconvénient, s'accoutumer au changement brusque de température. Quand le masseur avait fait craquer vos articulations et tous les os de votre cou et de vos membres, une douce somnolence vous prend en même temps qu'une sensation de bien-être, de propreté et de légèreté. Alors, le “caouadji” apparaît portant un plateau de cuivre ou de nickel étincelant sous la lumière diffuse du plafond, sur lequel étaient disposées de minuscules tasses à anse qu'on appelle “fnadjel”. Il vous sert à la demande moka ou thé à la menthe. Ce breuvage de qualité avalé à petites lampées vous remet d'aplomb. Après le bain de vapeur, quelques personnes s'installent à même le dallage et devisent entre eux. Les habitants de ce quartier de Tigditte formaient en quelque sorte une grande famille, non pas que des liens officiels de naissance les unissaient, mais parce que tous se connaissaient, se côtoyaient, s'aidaient et vivaient en vase clos, par la force des choses. DAHANE MOHAMED