Résumé de la 2e partie Le pauvre Paul Varenne s?est mis à hurler. Sa véhémence ébranle la gendarmerie tout entière. «Allons, dit le brigadier, je vais être obligé de vous conduire au chef-lieu, nous verrons bien ce que dira le substitut.» Il est quatre heures de l?après-midi lorsque Paul Varenne sort de la gendarmerie. Le soleil est toujours aussi chaud, le ciel toujours aussi bleu, il y a de la brume sur la mer? Ce matin encore, il partait en excursion et maintenant il part pour la prison. Pour l?accompagner, le brigadier a désigné le plus vieux de ses gendarmes, parce qu?il a sa mère en ville et qu?il pourra l?embrasser par la même occasion. «Je ne vous mets pas les menottes, dit le vieux gendarme? Mais vous serez sage, hein, promis ?» Paul Varenne promet. Le voici à côté du gendarme, dans un train qui s?arrête à chaque gare. Il voit monter et descendre les voyageurs, libres, comme il l?était lui-même il y a quelques heures. Il pense que ce brave gendarme le conduit en prison. Il se souvient de ce que disait souvent son père, le juge, à la table familiale : «En prison, on sait quand on y entre, on ne sait jamais quand on en sort?» Il se sent pris d?une angoisse atroce : il a l?impression d?être saisi par un engrenage qui ne le lâchera plus? Il y a peut-être un moyen d?amener la justice à revenir sur cette décision stupide. Il y a sûrement une solution. Mais, lorsqu?il sera entre les quatre murs de la prison, ce moyen sera-t-il à sa portée ? La vérité, avec le mécanisme long et compliqué de la justice, ne va-t-elle pas demander des mois, des années pour être établie ? Paul Varenne regarde le brave vieux gendarme assis devant lui sur la banquette et, brusquement, il lui fait horreur : c?est le premier engrenage de la machine. L?idée lui vient qu?il devrait peut-être s?échapper pour se donner le temps de réfléchir tranquille. Peut-on réfléchir entre les murs d?une prison ? S?échapper aussi pour échapper à la honte. Lui, en prison ? Le fils d?un juge de paix ! Paul Varenne se souvient qu?avant d?entrer dans Draguignan, on répare un pont ébranlé par un bombardement durant la guerre. Le train va ralentir. Il lui revient un geste d?enfance. Il lève un doigt. Le brave gendarme comprend, hésite et fait «oui» d?un signe de tête. Paul Varenne suit le couloir, suppute ses chances en voyant le train ralentir, ouvre la portière. Dès que le pont est passé, il saute, roule dans un fossé. Il se redresse, hagard et courbatu, tandis que le train s?éloigne. Absurde situation pour un honnête homme que d?être un évadé recherché par la police ! Paul Varenne, mal rasé, les vêtements froissés, a l?air d?un coupable lorsqu?il sort timidement de la gare de Lyon à Paris. Il a fait de l?auto-stop jusqu?à Valence et là, s?est enhardi à prendre le train. Il n?a pratiquement plus un sou en poche et ne peut évidemment rentrer chez lui. Dans le train, il a réfléchi. Il est forcément victime d?une erreur : une similitude de noms, une inversion d?état civil, un mélange d?archives quelque part, dans une administration en désordre. Ou alors, la machine judiciaire s?est mise en route sur une dénonciation, une lettre anonyme, un ragot? Le mot «ragot» fait surgir une image dans son esprit. Celle d?une femme laide et maigre, aux articulations déformées par les rhumatismes, au regard torve et sans expression. Pendant des mois, sans l?analyser, sans même s?en apercevoir vraiment, il a ressenti un sentiment de gêne chaque fois qu?il passait devant cette femme : la concierge de l?immeuble où il a son bureau. Il fuyait le regard de cette femme. Il se sentait plein de santé, rescapé de cette guerre atroce, et lorsqu?il passait devant cette femme, condamnée par la maladie à devenir très vite impotente et plus misérable encore, il craignait qu?un sourire n?ait l?air d?une provocation. Il passait sans tourner la tête. Mais souvent, tandis qu?il montait l?escalier, il imaginait son regard sur lui et pensait : «Cette femme doit me détester.» (à suivre...)