Résumé de la 1re partie - Selon le rapport de gendarmerie, Yves D. s'est rendu sur son ancienne propriété avec la volonté délibérée de se donner la mort... Les égratignures relevées sur les jambes indiquent probablement les efforts réalisés avant la mort pour atteindre la branche voulue. La mort a été quasi immédiate. Interrogée sur les motifs de ce suicide, l'épouse du défunt, Rose D., cinquante-deux ans, nous a déclaré que ce dernier avait voulu manifester par ce geste son désaccord sur les méthodes employées selon lui pour le perdre et l'amener à la faillite. Selon certains témoins, le défunt était, par ailleurs, déprimé depuis plusieurs mois, en raison de sa situation financière dont il nous a été confirmé qu'il en était entièrement responsable.» Comme c'est simple un rapport de gendarmerie, sec, objectif. Yves D. sera enterré sous les regards curieux des gens du bourg, sans cérémonie, un enterrement de pauvre, avec une bénédiction rapide de l'Eglise qui n'aime pas les défaitistes. Pour que cet homme, croyant, se soit suicidé, contrevenant ainsi aux lois de cette croyance, il avait, dira le prêtre, «perdu l'esprit dans le malheur qui l'accablait». Rose, sa veuve, a les yeux secs. Chacun le remarque, son visage s'est durci. Sur cette femme déjà dure, aux traits marqués et volontaires, le chagrin a posé un masque de pierre. Que dit la rumeur publique à leur sujet ? «Elle est bien trop orgueilleuse. Et lui, c'était un sauvage. Avec leurs grands airs, ils ont voulu s'en tirer tout seuls, ça les a pas empêchés d'emprunter aux banques et de se couvrir d'hypothèques. Quand il a voulu faire de la vigne, il a vu bien trop grand, et tout cet argent qui filait, tout ça pour refaire des murs et des mètres carrés de toiture et planter des arbres, et la serre ? Ils avaient pas besoin de ça pour vivre ! Ils auraient vendu la moitié des terres et loué les bâtiments à des fermiers, ils en seraient pas arrivés là. Tout ça, c'était prétentieux et compagnie.» Rose n'a pas les moyens de commander une pierre convenable pour la tombe de son époux. Chaque jour elle se rend sur le rectangle de terre où repose une croix. Son chagrin silencieux dérange. Au bourg, elle ne parle à personne, se montre à peine chez l'épicier où elle achète peu. Cette grande dame aux cheveux gris, habillée de noir, est un reproche vivant pour les autres. Nul n'est responsable de son malheur, pourtant, mais c'est ainsi. Certains pensent qu'elle ferait mieux de partir, d'aller vivre ailleurs. Le notaire lui a même envoyé un acquéreur éventuel pour la petite maison qu'elle occupe près de l'église. Il pensait bien faire. Mais Rose a dit : «Je n'ai plus rien à vendre, allez-vous-en.» Elle a refermé sa porte avec méchanceté. Cette femme est inquiétante. Elle attend. Mais quoi ? Elle ne cherche pas à travailler, or elle n'a plus d'argent, pis, elle est incapable de payer les frais de justice restés à sa charge et que la vente de la maison des deux ponts n'a pu éponger en totalité. La somme est pourtant minime, quelque 300 000 francs anciens. On saura plus tard qu'elle a vendu pour cela son alliance et deux bijoux en or, deux pauvres bijoux, rescapés du désastre, une chaîne en or et le crucifix qu'elle portait au cou. Un jour, ce qu'elle attendait s'est produit. Personne ne l'avait deviné ou supposé. Rose D. une criminelle ? Capable de commettre un meurtre avec préméditation ? Une femme que l'on voyait toujours à l'église, première arrivée, priant seule, avant la messe ?(A suivre...)