Œuvres - Le Centre des loisirs scientifiques d'Alger abrite une exposition du plasticien Mohamed Massen. L'exposition, qui se poursuivra jusqu'au 6 mai, est intitulée : «De Faim...et d'ennui». Deux mots empruntés à l'artiste Jean Dubuffet à travers ses paroles : «Sans pain l'homme meurt de faim, sans art il meurt d'ennui.» C'est pour exprimer «un coup de gueule» quant au comportement des individus par apport aux «nourritures terrestres et de l'esprit». En sillonnant l'exposition, notre regard est fortement interpellé par la présence de nombreux sachets de pain, déposés en tas, côtoyant des œuvres d'une particularité frappante. Ces œuvres sortent du commun, ce sont des couvercles de barils de pétrole peints en noir et sur lesquels sont écrits des proverbes. «J'ai fait la collecte de ce pain dans nos ordures», dira Mohamed Massen, et d'expliquer sa démarche artistique : «Je voulais exprimer un coup de gueule contre les ménages algériens et non les institutions. Les ménages sont les premiers responsables de ce gaspillage, j'ai rassemblé ce pain avec des couvercles de barils de pétrole pour dire que grâce au pétrole nous mangeons à notre faim, mais au lieu de préserver cette richesse nous la jetons, nos rues sont jonchées de pain que même les rongeurs de la ville n'arrivent pas à consommer. Le pain, cet aliment important, que nos ménages n'ont même pas le savoir-faire de récupérer pour en faire des plats comme nous le faisions avant.»L'originalité de l'exposition tient dans le principe même de la récupération. L'artiste, un autodidacte, s'adonne depuis sa retraite au «recup-art», une démarche qui consiste à récupérer des objets et à les rassembler pour en faire une œuvre d'art. «Je ne jette rien. Pour moi, tout objet est un outil de travail. Je ramasse de la ferraille, du fer, du papier et d'autre matière que je réassemble, mais pas n'importe comment. C'est sur la base d'une idée qui se construit, le travail achevé est une illustration de cette idée», souligne-t-il. La pensée de l'artiste est illustrée par des modèles installés, à l'exemple de cette femme qui exprime la faim. On y reconnaît une silhouette féminine faite d'un réassemblage de ferraille ; le ventre est une marmite creuse ; la mine pathétique du personnage est bien perceptible pour exprimer la douleur. Un autre réassemblage de fer et de bloc de goudron, pour dénoncer, cette fois-ci, la bêtise humaine des travaux non sécurisés qui hantent nos rues. «Bouchk'art» est le titre d'une autre installation. Le personnage de «bouchkara» est représenté par une pelle et une cravate, un sachet à la main, tout cela pour dénoncer aussi la corruption qui ronge la société. Pour les éléments utilisés, Mohamed Massem révèle que cela fait partie de sa passion de collectionneur d'art. «J'ai toujours été un collectionneur d'œuvres d'art. Je fréquentais souvent les brocantes, à un moment donné ces œuvres ont disparu, je me suis donc tourné vers la ferraille et j'ai commencé à visiter les chantiers », raconte-t-il. Et de poursuivre : «Mon objectif est de faire de la graphie dans l'espace...Je veux dépasser le papier et autres supports de peinture traditionnels et pouvoir m'exprimer avec des représentations faites uniquement à partir d'objets récupérés.» - L'artiste ne fait pas seulement du réassemblage d'objets, il use aussi des belles paroles et de sagesse. On peut lire, ici et là, des pensées et des idées d'un sage philosophe ou d'un proverbe ancestral. «J'ai aussi récupéré les paroles de célèbres artistes, historiens, écrivains et poètes que j'ai mentionnées sur les œuvres pour exprimer telle ou telle idée », dira-t-il. «Ennui» est le titre d'une autre installation ; celle-ci exprime un autre coup de gueule de l'artiste. Cette œuvre – des cadres accrochés aux murs de la galerie avec des pinceaux en berne – exprime la situation de l'artiste. «Cette œuvre raconte nos artistes qui vivent une situation décourageante, leur travail n'est pas considéré, leurs œuvres ne sont pas achetées. Les responsables dans nos administrations préfèrent accrocher des copies médiocres vides de toutes expressions artistiques que des œuvres de qualité», déplore-t-il. Une situation désolante à laquelle nos artistes sont livrés et pourtant, comme exprimé sur l'une des œuvres accrochées, «l'artiste est un reflet de la société, nous ne pouvons jamais nous libérer totalement de ce qui nous entoure». Nos artistes sont condamnés à rayonner dans cet univers ingrat.