La fin de l'histoire est sous les yeux d'un plombier. Une histoire unique en son genre. Affreuse, insoutenable même. L'homme qui en est le héros sanglant est en prison quelque part sur l'île de Wight, où il passe son temps, paraît-il, à surveiller les gardiens, pour relever leurs infractions au règlement du droit des détenus. Le 8 février 1983, au 23 Cranley Gardens, un petit bâtiment de deux étages dans la banlieue nord de Londres, ce plombier ouvre une plaque d'égout. Les canalisations de l'immeuble sont bouchées, un locataire vient de l'appeler : plus rien ne fonctionne dans la maison depuis deux jours. Mais le problème se situe de toute évidence à l'extérieur de l'immeuble. Le plombier descend l'échelle métallique, éclairé par la torche lumineuse de son coéquipier. En bas, à quatre mètres de profondeur, il distingue quelque chose d'assez difficilement identifiable. Le plombier examine la canalisation de l'immeuble, descend au fond de l'égout, donne des coups de botte : la même matière gélatineuse qu'il vient d'apercevoir s'est emparée des tuyaux d'évacuation et bouche le fond de la fosse d'égout. Drôle de matière. Le plombier reste un moment perplexe. Son coéquipier demande : «Alors ? — Eclaire-moi plus bas ! C'est bizarre. — Bizarre comment ? — On dirait... Le plombier remonte à la surface pour achever sa phrase, l'air écœuré, et, parce qu'on ne crie pas une chose pareille, il chuchote : «On dirait de la chair humaine.» Le plombier prévient le locataire et décide de revenir le lendemain à la lumière du jour pour pousser plus avant ses investigations. Or, le lendemain, plus de matière gélatineuse. Disparue. Courageusement, le plombier enfonce une main gantée dans la canalisation et en ressort des horreurs : des fragments d'os et de la chair. Quelqu'un a enlevé sa macabre trouvaille de la veille, mais n'a pas pu nettoyer à fond la canalisation. D'ailleurs, la plaque d'égout n'a pas été remise correctement. Jim Callock, le locataire du premier étage de l'immeuble qui a fait appel au plombier, donne une indication : «Ce doit être Nielsen, le locataire du second, j'ai entendu du bruit cette nuit, il est allé jusqu'à l'égout, c'est lui qui a dû tout boucher. Hier, il m'a demandé pourquoi vous étiez venu !» Ainsi finit l'histoire de Dennis Nielsen. Une histoire qui a commencé alors qu'il avait six ans. Quand il était un petit garçon écossais, sans papa, que son grand-père trimbalait sur ses épaules au bord de la mer, en lui racontant de fabuleuses histoires de pêche et de tempêtes, de bateaux ivres sous l'orage et de courageux marins-pêcheurs. Grand-père Nielsen adorait son petit-fils, qui le lui rendait bien. Ils ne se quittaient guère, sauf lorsque grand-père partait en mer, pour son travail. Un jour, grand-père est mort sur son bateau, d'une crise cardiaque, en plein vent. Les pêcheurs ont ramené son corps à la famille ; on a fait faire le cercueil et exposé le cadavre dans la petite maison de Frasenburgh en Ecosse. On est allé chercher Dennis, six ans, pour lui montrer le corps de son grand-père adoré. Et Dennis est resté pétrifié devant ce corps immobile. La mort ? C'était quoi la mort ?... On lui a expliqué que grand-père s'en allait, qu'il le quittait pour aller ailleurs dans un autre monde, et qu'il fallait l'embrasser pour lui dire adieu. Dennis a embrassé le visage aimé, c'était tout froid. Et on a emmené grand-père. Plus de grand-père. Dennis était abandonné. (A suivre...)