Nous sommes dans l'après-midi du vendredi 12 février 1993. Il est exactement, ainsi qu'on pourra l'établir par la suite à la minute, presque à la seconde près, quinze heures quarante. Denise B. fait des courses au New Strand Shopping Centre, dans le quartier populaire de B., à Liverpool, la grande cité industrielle du centre de l'Angleterre. Enfin, il vaudrait mieux dire «l'ancienne grande cité industrielle», car aucune région, sans doute, n'a été davantage touchée par la crise, avec comme conséquences la délinquance dans les quartiers populaires - c'est-à-dire dans presque toute la ville - et la violence qui s'est exprimée de la manière tragique que l'on sait dans les stades... Mais cela, Denise B. n'y pense pas alors qu'elle fait ses courses, ce climat détestable fait partie du quotidien. Elle-même est d'un milieu plus que modeste et habite une des banlieues les plus déshéritées de la ville. Pour l'instant, jeune maman qui gère de son mieux le budget du ménage, elle se soucie de faire au moindre prix ses provisions pour le week-end et la semaine à venir. À ses côtés, se tient son fils, le petit James, deux ans, qui l'a accompagnée. Denise B. arrive au rayon boucherie. Il y a pas mal de bousculade en ce vendredi, jour d'achats traditionnel. Le temps d'examiner la viande présentée sous cellophane, elle se retourne : James n'est plus là. Mme B. ne s'inquiète pas. Il n'y a pas une minute qu'elle l'a perdu de vue. Il ne peut être loin. Elle parcourt les allées avoisinantes, cherchant du regard sa petite silhouette en pantalon clair et blouson noir, son visage joufflu aux cheveux et aux yeux marron, mais James n'est pas là... Mme B. se met à appeler son fils, à demander aux clients s'ils ne l'ont pas vu : sans résultat. Peu après, elle va trouver la direction du magasin, qui multiplie les annonces par haut-parleur : James ne se manifeste toujours pas. Cette fois, il faut se rendre à l'évidence : il a disparu. Denise B. alerte la police... Les policiers sont rapidement sur place. Le supermarché, comme presque tous les autres, est équipé de caméras de surveillance. Ils visionnent les bandes vidéo et découvrent sans mal l'enfant. Pas de doute : ce pantalon clair et ce blouson noir, c'est bien lui !... Et grâce à la date et à l'heure enregistrés, ils vont pouvoir suivre les événements en temps réel. Tout d'abord, James B. est en compagnie de sa maman au rayon boucherie, puis il disparaît. À quinze heures quarante et une minutes et trente-neuf secondes, il arrive dans le champ d'une autre caméra, un peu plus loin. On aperçoit alors deux petites silhouettes qui vont dans sa direction. Ce sont celles de deux autres enfants, deux garçons plus âgés, qui doivent avoir environ dix ans. Ils lui font signe et James vient vers eux. L'un des garçonnets lui dit quelque chose et l'enfant les suit. La caméra les perd à ce moment. Mais une minute plus tard, à quinze heures quarante-deux minutes et trente-deux secondes, une autre caméra les prend. Le petit James donne la main à l'un des garçons. Trois secondes plus tard, à quinze heures quarante-deux minutes et trente-cinq secondes, il la lâche et continue à les suivre de son plein gré. C'est tout. À partir de ce moment, les caméras vidéo n'enregistreront plus rien. Même si l'inquiétude demeure, les policiers, tout comme Mme B., sont rassurés. Le pire aurait été de voir partir James avec un homme - d'autres enfants, cela ne peut pas être bien grave. Et puis, trois gamins de cet âge-là ensemble, ce n'est pas si fréquent, cela se remarque, les témoignages ne vont certainement pas manquer. (A suivre...)