Partout dans le pays et jusque dans le Sahara, les gens ont été pris d?un frénésie de construire qui n?a d?égale que la propension des pouvoirs publics à les laisser faire et à l?anarchie quasi totale qui a entraîné l?enlaidissement et la gourbisation de nos villes et villages. La construction d?une maison vient en tête des canons de la réussite sociale. Rares sont les gens qui recourent aux services d?un architecte. Chacun y va de son propre mauvais goût. La masure, toute de béton, de parpaing et de brique rouge, se doit d?abord d?être imposante. Deux ou trois étages, avec des balcons à colonnettes de ciment coulé. La façade doit être alambiquée, avec force extravagance, faïence de salle de bains, «névadas» en verre, auvents de faux greniers, toits biscornus en tuile synthétique, arcades hispano-mauresques et «moucharabieh» aux fenêtres. Le tout a un air d?architecture hybride suisse-mauresque, sorti du cauchemar d?un maçon auquel il a été exigé d?imaginer ce qu?il y a de pire. Au-dessus, la dalle doit rester inachevée, avec du fer à béton sortant de partout, pour le cas où l?on voudrait rajouter un étage. En bas, des magasins avec des rideaux métalliques. A l?intérieur, une enfilade de pièces, d?escaliers, de piliers. Une chatte n?y retrouverait pas ses petits. Surtout, penser à ne pas crépir et peindre la maison. Elle doit continuer d?avoir un air d?éternel chantier. Chose impudique et crue, exposée crûment aux regards blessés. Comme presque toutes ces nouvelles laideurs qui ont poussé tels des champignons dans toutes nos villes et tous nos villages. Cette lèpre grise et rougeâtre a mangé nos horizons. A l?intérieur de ces gourbis des temps modernes, des petits hommes replets pètent la satisfaction. Ils ont réussi à laisser à leur portée un «tombeau de la vie».