Nous avons déjà évoqué l'importance de la langue dans la symbolique algérienne ; comme les langues d'Esope, elle est capable du meilleur comme du pire ! Les mauvais propos, klam el ?îb, littéralement «les propos de la honte» sont particulièrement décriés. Un mauvais mot, dit-on, est pire qu'un coup que l'on administre, pire qu?une blessure que l?on inflige, car, dit-on en kabyle : «Les plus mauvaises plaies creusent dans la peau, mais finissent par guérir, alors que les mauvais propos creusent (dans les pensées) et s?aggravent». A la base de ce proverbe, que l'on retrouve également dans d'autres régions d?Algérie, il y a le conte de la vieille femme et du lion. On rapporte qu'une vieille femme qui vivait seule n'avait personne pour l?aider. Un jour, alors qu'elle revenait de la forêt avec un fagot sur le dos, un lion surgit devant elle. Elle s'effraya, mais le fauve la rassura : «N'aie crainte, je veux seulement t?aider ! Mets ton fagot sur mon dos et marche devant, montre-moi le chemin qui mène à ton village !» Elle obéit en tremblant. Arrivé aux abords du village, le lion posa la charge et la vieille femme la prit. Le lendemain, le lion revint et aida de nouveau la vieille, en prenant une charge encore plus importante. La vieille n'avait plus de souci à se faire pour son bois. Un jour, la laissant aller, le lion revint en arrière pour écouter ce qu'elle disait de lui. Les villageois l'interrogeaient, en effet, sur le lion qui l?aidait : «Ce puant de la bouche, dit-elle, je le mène à la baguette !» Le lendemain le lion se présenta comme d'habitude, mais cette fois, il s'adressa à la vieille avec dureté : «Prends une bûche et frappe-moi au front !» La vieille refusa, mais le lion menaça de la dévorer si elle n?obéissait pas. Elle le frappa donc et le lion se mit à saigner. «Vois-tu, lui dit-il, les plus mauvaises plaies creusent dans la peau mais finissent par guérir, alors que les mauvais propos creusent et s'aggravent.» Il se jeta sur elle et la dévora.