Interrogation - «Etre Arabe et survivre au XXIe siècle» est l'intitulé de la conférence conjointement animée, hier, par Inaâm Bayoud, universitaire et traductrice, et Waciny Laredj, universitaire et écrivain. Tous deux ont soulevé lors de cette rencontre qui s'est déroulée dans le cadre du 18e Salon international du livre d'Alger, des questions d'actualité, ô combien sensibles. Pour Inaâm Bayoud, la problématique que pose la conférence est avant tout la question de l'identité. Autrement dit, qui sommes-nous ?, voire de quelle façon devons-nous nous nommer ? «Se dire Arabe est d'abord une réelle problématique», a-t-elle dit, et de souligner : «La question de l'arabité pose autant de questions que de problèmes.» Selon elle, être Arabe, serait-il en référence au sang, à l'histoire, à la culture ou bien encore à la langue ? «Le sujet est complexe et sensible. A la fois, il nous interpelle et nous fait interroger sur nous-mêmes et sur ce que nous sommes et sur notre passé, présent et même notre avenir», a-t-elle fait savoir. «Que signifie être Arabe ? Cela signifie-t-il par rapport aux critères de l'identité, à ceux de l'appartenance ou bien encore à ceux de la conviction» qui, elle, relève d'une idéologie. L'oratrice a, par ailleurs, estimé que se nommer – ou se considérer – comme tel, c'est-à-dire se dire Arabe relève d'une appellation complexe, tant avec des sous-entendus qu'avec des malentendus. Cela prête à confusion, confusion conduisant souvent à des situations conflictuelles. L'actualité du monde arabe aujourd'hui en est une preuve évidente. Pour illustrer son propos, la conférencière a dit : «Les attentats du 11 septembre 2011 ont été incombés à des Arabes. Or il se trouve que ceux qui ont fait exploser les deux tours jumelles étaient de différentes nationalités. Etre musulman, c'est forcément aux yeux de tous être Arabe.» Il se trouve qu'entre une entité dite arabe d'Afrique du Nord et entre une autre, celle de la région du Golfe, en passant par l'Egypte et le Proche-Orient, sans exclure le Soudan et la Somalie, la différence est aussi grande que tout ce vaste territoire qui englobe les pays placés sous l'appellation du vocable arabe. Pour elle, chaque pays a ses propres traditions et pratiques sociales, ainsi que ses spécificités aussi bien culturelles qu'historiques, «mais il y a cependant une unité géographique, cette même unité à laquelle tous les pays dits arabes appartiennent. En d'autres termes, l'on ne peut pas parler d'arabité avec le sens qu'elle sous-entend idéologiquement ou historiquement, car si cela était le cas, les autres composantes qui font les spécificités de la société arabe, donc les entités qui représentent les diverses et différentes minorités seront systématiquement exclues. Et c'est dans ce sens que Waciny Laredj va étayer l'idée. Pour ce faire, il prendra l'exemple de la Syrie. Ce pays est communément désigné par l'appellation suivante : «République arabe de Syrie». Donc, à partir de là, si l'on considère la Syrie comme telle, on se trouve devant un dilemme, celui de la légitimité sociopolitique des minorités à droit de cité, donc à l'existence. Selon l'orateur, désigner la Syrie de telle manière – en se référant exclusivement au mot arabe –, «c'est d'emblée occulter, effacer et exclure les minorités qui composent le tissu social et structurent le paysage culturel de la Syrie», et si toutes ces minorités, à l'exemple des Kurdes, des chrétiens, se rassemblaient, elles formeraient, à coup sûr, la majorité.» - Penser la question arabe par rapport à la question linguistique, c'est tomber dans l'exclusion, voire dans la ségrégation raciale et ethnique. «C'est pourquoi, il faut penser l'arabité d'un point de vue culturel avec ses différentes composantes et ses spécificités sociales», a-t-il soutenu. Car, explique-t-il, «le monde arabe est constitué de disparité et de paradoxe, il est constitué de plusieurs pays, chaque pays a sa propre histoire, sa propre culture, sa propre personnalité et son propre caractère. L'on parle, de ce fait, de société (toujours dite arabe) au pluriel, et dans chaque société, il y a des sous-sociétés, des sous-cultures». Les conférenciers s'accordent alors à dire qu'il faut penser l'homme dit Arabe en termes de culture, loin de toutes considérations ethniques ou raciales. Pour eux, il faut cesser de vivre, voire de se complaire dans le passé, en revanche il faut tenir compte de ce passé, de toutes les expériences vécues au fil des siècles et ce, en vue d'assumer ce passé, de vivre pleinement le présent et d'aller vers l'avenir. Il faut s'inscrire dans le présent en assumant ses responsabilités et s'ouvrir à l'avenir. «Parce que la question qui se pose est : comment accueillir ce nouveau millénaire et faire face à ses défis ?» s'interrogent-ils, et d'insister : «Il faut libérer les consciences, émanciper les esprits. Tout cela va nous permettre de surmonter les difficultés, donc relever les défis qui se présentent à nous.» Il faut donc dépasser les malentendus pour penser un projet de société ayant des perspectives et de l'avenir, pour opérer des changements positifs.