Je partage la tristesse de Othmane Saâdi devant la tournure qu'ont pris les événements après le match Algérie-Egypte. J'ai néanmoins quelques remarques sur le texte de cet apparatchik pour qui la défense de l'arabité est avant tout un fonds de commerce. Ce qu'il dit sur le rôle du « lobby francophile » dans la crise algéro-égyptienne actuelle est vraiment sujet à caution. Comment expliquer que le journal algérien le plus furieusement anti-égyptien ces dernières semaines ait été Echourouk, quotidien arabophone s'il en est, qui a toujours ouvert ses colonnes à ce même Othmane Saâdi ? Beaucoup de journalistes francophones ont eu une position tout à fait honorable dans cette crise, appelant au calme et rappelant les relations historiques entre l'Algérie et l'Egypte. Ils ont leur propre perception de ces relations (ils ne les définissent pas comme des relations de « fraternité ethnique » et c'est leur droit, je crois). Beaucoup de francophones sont aussi favorables à une arabisation scientifique de l'enseignement, mais ils se sentiraient ridicules de proposer, comme Othmane Saâdi, l'arabisation de la médecine, ici et maintenant, dans un pays qui n'édite même pas un fascicule par an en sciences médicales. Il est sidérant que les francophones soient présentés comme des « pro-français » et les arabisants comme des révolutionnaires purs et durs. Tout le monde sait pourtant que les révolutionnaires algériens étaient en grande partie de formation francophone et que l'association des oulémas (qui luttait à juste titre pour la reconnaissance de l'arabe par les autorités coloniales) n'a rejoint le FLN que contrainte et forcée, sous la menace de liquidation physique de ses chefs. Ce que Othmane Saâdi dit sur l'arabité de l'Algérie à travers les âges, relève plus du délire nationaliste-arabe chauvin que de la vérité scientifique (il a l'air de penser qu'il suffit qu'il écrive lui-même quelque chose pour que cela devienne aussitôt une vérité incontestable). Sa définition de l'arabité est une définition quasi-raciale (même le Baath la définissait comme une appartenance linguistique, culturelle, etc.). Les Berbères d'aujourd'hui seraient, selon lui, les descendants d'anciennes tribus yéménites. Cette thèse signifie, politiquement parlant, qu'ils n'ont pas le droit d'étudier leur langue parce qu'elle dériverait de l'arabe (imaginons, en Espagne, une proposition d'interdiction du catalan parce qu'il dériverait, comme le castillan, du bas-latin). Un des critères importants pour définir une communauté linguistique n'est-elle pas l'intercompréhension ? Est-ce qu'un arabophone algérien comprendrait le berbère sans l'aide d'un manuel de conversation ? Ce qu'il dit sur les « origines arabes » de l'égyptien ancien n'est pas moins ridicule (je suis sidéré par son sens inné de l'anachronisme). On peut lui poser la question : si cela est vrai, pourquoi un arabophone vivant en 2009 ne comprend-il pas « naturellement » le copte ? Il est malhonnête de partir de la parenté réelle entre les langues chamito-sémitiques (arabe, égyptien, hébreu, berbère) pour les faire dériver toutes d'une langue proto-arabe mythique dont on n'a pas établi l'existence (même l'existence d'une seule langue proto-sémitique n'a jamais été prouvée). Ce qu'il dit sur l'origine yéménite des Berbères est une hypothèse exposée (et réfutée, je crois) par Ibn Khaldoun. Ce n'est pas du tout une vérité historique (et quand bien même ce serait vrai, pourquoi n'auraient-ils pas le droit d'apprendre leur langue qui est, aujourd'hui, très différente de l'arabe dans la mesure où un arabophone ne la comprend pas « naturellement » sans l'avoir apprise ?). J'ai toujours été sidéré par la capacité de Othmane Saadi à transformer ses propres hypothèses en vérités scientifiques. Le rappel des relations historiques entre l'Algérie et l'Egypte est nécessaire par ces temps de chauvinisme. Mais Nasser n'a pas été complètement désintéressé en aidant la Révolution algérienne. Ses moukhabarate ont manipulé Ben Bella pour lutter contre d'autres nationalistes algériens, pas assez arabistes à son goût. Le responsable du contre-espionnage égyptien Fathi Dib en parle dans ses Mémoires. Donc, il faut rappeler combien l'aide égyptienne à la Révolution algérienne a été importante (armes, munitions, etc.) mais aussi (si on veut faire de l'histoire scientifiquement) que Nasser a tenté de l'instrumentaliser dans sa lutte pour le leadership arabe et ce, en essayant de lui imposer une direction acquise au nassérisme (Ben Bella, Mahsas, etc). Beaucoup de révolutionnaires algériens ne lui pardonnent pas cette ingérence qui, à des moments décisifs (le congrès du FLN en 1956), aurait pu compromettre l'avenir de la lutte de libération. C'est là, pour moi, quelque chose d'évident (d'aussi évident, en tout cas, que la tendance de beaucoup d'Algériens à minimiser l'aide arabe à la Révolution). L'auteur : Journaliste