Décor Le quartier des Planteurs est en passe de crouler sous le poids de la misère sociale. Ne vous avisez surtout pas de demander à votre chauffeur de taxi de vous conduire au quartier des Planteurs à une certaine heure de la nuit. Il vous expliquera sans ambages que le parcours est semé de mille et une embûches ? entendre par là les risques qui jalonnent les chemins tortueux de cette bourgade déshéritée, juchée sur un imposant monticule qui fait misérablement face à la ville d?Oran. La rigidité de ce quartier surprend d?abord par ses contours architecturaux qui laissent deviner une extravagance dans la hâte des premiers habitants à construire des chaumières pour s'abriter des caprices du temps. Perchées sur près de 36 hectares, les maisonnettes ressemblent à celles des Beni Iznassen, les rudes paysans rifains du nord du Maroc. Aussi bizarre que cela puisse paraître, les «avantages» dont a bénéficié ce quartier sont insignifiants, au vu de la densité humaine de ce bourg frappé d?ostracisme et aux dimensions démesurées. Longtemps florissante grâce aux fortes implantations industrielles et d?autres secteurs de croissance soutenus, la ville d?Oran, et dans son sillage immédiat les Planteurs, est en passe de crouler littéralement sous la forte densité d?habitants au mètre carré. Actuellement, près de 60 000 citoyens s?entassent aux Planteurs dans des habitations précaires. Les accidents multiples sont encore vivaces : en 1994, 13 personnes ont péri dans l?éboulement de l?assiette de terrain où était «érigé» leur baraquement de fortune. Trois autres personnes sont également décédées à la suite des inondations du 10 novembre 2001. C?est précisément dans ce cycle fait d?incertitude que les habitants tentent de survivre. Autre problème, le chômage affecte lourdement les jeunes. La trentaine «bien sonnée», Ali, tout en regardant du côté de sa mansarde, nous déclare : «Nous sommes plus de 11 personnes à nous entasser dans ce sordide deux-pièces. L?hiver est doublement ressenti par les membres de ma famille, dont je suis le seul soutien.» Ali, comme beaucoup de jeunes de son âge, préfère la chaleur de l?été pour pouvoir dormir à la belle étoile. Les habitants ressentent comme une offense l?étiquette qui fait d?eux des «zonards de troisième catégorie», comme le soutient ce père de famille au bord de la déprime. «Outre l?isolement, nous sommes obligés de supporter les inconvénients d?une existence difficile.» Dans ce contexte, les rares minibus qui relient les Planteurs au centre-ville d?Oran ne permettent pas une fluidité, donc une activité rentable à même de modifier les relations intra-muros qui interviennent généralement dans la vie courante des grandes cités. L?autre point noir pour la population de hai Es Sanoubar est la santé. «Depuis des années déjà, nous sommes confrontés à cet épineux problème qui fait des ravages parmi la population des Planteurs, notamment chez les enfants, très sensibles aux maladies pathologiques», nous dira le médecin du dispensaire. Dans cet ordre d?idées, des maladies comme les irruptions cutanées sont étroitement liées à la présence constante de décharges sauvages qui constituent des foyers de germes par excellence. Un habitant nous fera savoir qu?il ne fait pas bon tomber malade la nuit. Pour des raisons que l?on peut aisément imaginer, les ambulances ne répondent pas à l?appel d?un malade durant la nuit. Les pistes quasi impraticables et sinueuses ne sont pas sûres. Dans les cas d?extrême urgence, la solidarité d?un voisin motorisé n?est pas de refus. Quoi qu?il en soit, beaucoup reste à faire si l?on veut parer au plus pressé et permettre à ce quartier de sortir définitivement de la misère et de l?exclusion sociale. Et si, par un quelconque hasard, vos yeux se risquaient à percer le «décor surnaturel» de cette lèpre urbaine, repliée sur elle-même, dites-vous bien que le c?ur d?Oran y palpite aussi.