Blasphème ■ Depuis la fin des années 1960, le barrage supérieur de l'ensemble hydro-électrique de Coo ajoute sa digue à la massive silhouette arrondie de la montagne. Au pied de celle-ci, entre les bois qui en couvrent tout le flanc Nord et les prairies bordant l'Amblève, on aperçoit de la route une ferme-château au beau corps de logis à colombages, protégée par une massive cour carrée de forteresse agricole. C'est la Vaulx-Renard, dont le nom évoque chasses et sauvagerie. Ce n'est point par hasard, car à ce lieu retiré reste attaché le souvenir de chasseur maudit. Jadis le seigneur du lieu était un chasseur enragé. Il obligeait ses manants à quitter leurs travaux pour lui rabattre le gibier, et dévastait avec sa meute leurs pauvres récoltes de seigle, à la poursuite d'un cerf ou d'un sanglier. Il chassait même le dimanche, ce qui achevait de scandaliser les bonnes gens du pays. Et s'il était sur la trace d'un chevreuil ou d'un dix-cors pourchassé depuis l'aube, il exigeait que le prêtre l'attendît pour célébrer l'office. Un dimanche pourtant, comme il tardait trop, le curé avait commencé sa messe sans plus l'attendre. Quand le seigneur entra dans l'église, peu avant la consécration, il était doublement en colère. Le loup qu'il avait poursuivi toute la matinée, lui avait échappé, et le prêtre, malgré ses ordres, disait sa messe sans lui. Ayant encore à sa ceinture son long poignard, il bondit à l'autel, dégaina son arme et en transperça d'un seul coup le cœur du prêtre. Son crime commis, il sortit de l'église sans un mot, remonta sur son cheval et repartit avec sa meute dans la forêt. Il n'en est jamais revenu. Et, les soirs d'automne, parmi le fracas de la tempête, on entend encore les aboiements furieux de sa meute et le son rauque de sa trompe de chasse. Car son âme damnée reste captive de la passion qui fit de lui un meurtrier et un sacrilège.