Réputation ■ Deux sites sont célèbres sur le cours de l'Amblève. La cascade de Coo fut amorcée par les travaux des moines de Stavelot, jadis, pour faire tourner la roue d'un moulin. En aval, c'est à un autre moulin - mais démo-niaque - que les «Fonds de Quarreux» doivent, selon la légende, leurs encombrements de roches entre lesquelles se faufile la «rivière des aulnes» (Ambla Ewa). Un modeste moulin à eau vivotait autrefois sur la rive, obligé de chômer quand les eaux étaient basses, endommagé lorsqu'elles s'écoulaient en torrent. La misère n'était jamais loin. La femme du meunier devait demander l'aumône pour habiller ses enfants, et il ne restait plus que trois vaches à l'étable, dont deux malades. De coûteux travaux étaient nécessaires pour réparer les dégâts causés par un orage à la roue à aubes, mais la bourse plate du meunier ne lui en donnait pas les moyens. Aussi ce dernier apprit-il avec de grands espoirs que, venant de mourir, un lointain oncle de Hesbaye, réputé économe et riche, avait fait de lui son héritier. Prenant sa besace, il fit à la hâte le long chemin pour assister aux funérailles de son parent. Hélas ! lorsqu'il alla trouver le notaire, celui-ci lui apprit que, devenu sur le tard galant et dépensier, feu l'oncle avait dilapidé la plupart de ses biens. Après payement des funérailles et des droits dus au seigneur local, il ne restait au pauvre meunier qu'une poignée de thalers. Il revenait donc chez lui, bien marri, et admirant avec mélancolie les beaux moulins à vents dont les ailes tournaient en ce temps-là sur le plateau de Hesbaye. —Ah, murmura-t-il, je n'aurais à craindre ni les basses ni les trop hautes eaux si je pouvais, en mon pays de Quarreux, en construire un sur la hauteur. Je gagnerais enfin ma vie. Mais qui diable me donnera de quoi le construire ?Prononcé sans y penser, ce mot «diable» avait été entendu. Le pauvre meunier n'avait pas remarqué, dans l'ombre épaisse d'un noyer, un homme aux yeux brillants, enveloppé dans une longue houppelande noire. —Veux-tu vraiment posséder semblable merveille? lui demanda l'inconnu. —Bien sûr, mais avec quoi payerai-je les travaux ? Soupira le pauvre homme. Voici toute ma fortune Et il montra les quelques thalers de l'héritage. —Tu n'as pas besoin d'or ni d'argent. Si tu te mets sous mon pouvoir, je puis t'en bâtir un, plus grand et beau que celui-ci, en une nuit. On y viendra depuis Stavelot jusqu'à Aywaille pour faire moudre seigle et blé. Lui tendant un parchemin, il poursuivit : —Signe ceci avec ton sang. C'est un pacte. Rentre chez toi, tu y seras ce soir. Au premier rayon de l'aube, les travaux seront achevés, je te le promets, et les ailes tourneront. Dès lors, tu seras riche, et moi, je posséderai ton âme. Je viendrai la prendre dans dix ans. (A suivre...)