Deborah W., la belle rousse qui travaille pour la chaîne de télévision américaine de langue espagnole TLO, est, comme chaque jour, affairée devant son ordinateur. Elle tape fébrilement le «déroulement» du prochain épisode particulièrement «juteux» de la fameuse série Comme si vous y étiez, un «reality-show» qui rassemble les foules pour les transformer en voyeurs impénitents. Après l'émission sur les transsexuels, leur vie et leurs mœurs plutôt scandaleuses, après celle sur l'inceste, activité beaucoup plus courante qu'un vain peuple ne le pense, après le record d'audience atteint par l'émission concernant la« zoophilie», Deborah met une dernière main au sujet qui, elle l'espère bien, ne décevra pas la «chaîne», c'est-à-dire la direction générale : «Qui prétend avoir fait l'amour avec un (ou une) extraterrestre ?» Les témoignages, parfois troublants, les détails croustillants, l'exhibition de quelques prétendus «enfants de l'amour», tout cela devrait encore faire un bon score. Mais, en même temps qu'elle termine son papier, Deborah commence à se poser l'éternelle question des journalistes : «Que vais-je trouver pour demain ?» Soudain le téléphone sonne. Deborah décroche. Un homme au fort accent cubain demande à parler à la responsable du célèbre show Comme si vous y étiez. Deborah se présente et l'homme affirme qu'il est l'un des plus fervents téléspectateurs de la série, un «fan». Mais il n'appelle pas pour féliciter les responsables. Il a lui-même un problème et, en définitive, il compte un peu sur son « reality-show» favori pour l'aider à résoudre une situation personnelle douloureuse. Deborah, instinctivement, sent qu'il y a peut-être, au bout du fil, un sujet d'émission. Elle demande à l'homme, Vincente J., de raconter son histoire. En même temps, par un réflexe professionnel, Deborah a mis en marche le magnétophone qui enregistre directement l'appel. Cela lui permettra de tout réécouter ensuite, à tête reposée, et de juger de tous les éléments. Deborah est une vraie professionnelle, de celles qui savent réfléchir mais, le cas échéant, faire preuve du réflexe qui saisit le scoop pratiquement en direct, qui sauve tout... Du réflexe qui tue aussi... À l'autre bout du fil Vincente, avec son vocabulaire cubain facilement identifiable, raconte d'une voix oppressée son drame personnel, depuis le début. Enfin presque : cet homme plus passionné qu'organisé mélange un peu la chronologie, ne termine pas toutes ses phrases, saute des détails. Heureusement Deborah est là pour faire préciser un point obscur, pour résumer, pour le remettre dans le droit chemin de son drame. Drame qui va bientôt, grâce à Deborah et à ses parfaits réflexes professionnels se transformer en tragédie, en boucherie peut-on même dire... Vincente raconte son histoire. Voilà quelques années qu'il s'est installé en Floride avec son épouse Margarita. Au début, tout à la joie de vivre enfin dans la libre Amérique, le couple savoure son bonheur capitaliste tout neuf. De plus ils ont donné le jour à une ravissante poupée : Pilar, petite brunette pulpeuse et rieuse qui promet d'être une femme splendide quand le temps sera venu. Tout va bien, Vincente est, au bout de quelque temps, devenu le gardien d'une somptueuse résidence pour retraités bien nantis, de ces résidences où, au pays de la liberté, on n'admet ni les Noirs, ni les animaux, ni les enfants. Etrange image du paradis... Margarita, quant à elle, est coiffeuse. Les revenus du couple sont suffisants. Pilar grandit. Tout irait bien. Pourtant, au paradis du dollar, libéré du souci de trouver chaque jour à se procurer la nourriture la plus essentielle, le couple commence à se dissoudre. (A suivre...)