La Madrague Salah, 52 ans, déambule sur la grève. De loin, il guette deux corps enlacés depuis un long moment. La journée s?annonçait radieuse. A une heure matinale, la plage commençait déjà à accueillir les groupes d?estivants. Parmi la foule, un couple semblait dormir. La fille avait la tête posée sur le torse du garçon. Ils étaient complètement en retrait des autres baigneurs, cachés derrière un rocher, il fallait vraiment passer très près pour les remarquer. Salah lança un soupir arraché de ses entrailles. Il pensa : «Ils s?aiment, quelle chance !» Il leur lança un regard furtif et pressa le pas en tremblant. Une immense tristesse l?envahit soudain. Le bonheur, pour lui, n?est qu?une utopie. A 52 ans, il ressemblait déjà à un vieillard qui attendait son heure. Il fut un temps où il avait aimé une fille lui aussi, ô mon Dieu ! Il revoyait son passé avec une douloureuse clarté. Les yeux noisette de sa bien-aimée surtout... Seulement, il n?avait pas le droit de l'épouser. Sa mère, qui repose maintenant depuis dix années au cimetière, avait décidé de choisir à sa place. Il aurait dû? Mais pourquoi se torturer quand il est déjà trop tard ? Il voulait éviter de repasser près du couple. Laisser les deux amoureux en paix, tout à leur bonheur. Mais la curiosité fut plus forte. D?habitude, les couples étaient plus discrets. Il était 9 heures et le flot des baigneurs grossissait, les deux tourtereaux étaient toujours là enlacés, indifférents à tout. Mais peut-on rester immobiles aussi longtemps ? Peut-être que la fille dormait et que le garçon n?osait pas la réveiller ? Salah ne voyait pas leur visage, les cheveux de la fille, en boucles folles, étaient étalés sur le tee-shirt blanc du garçon. Tous les deux portaient un jean. Salah hésita un moment, puis il se dirigea vers eux d?un pas lent et inquiet. Un froid glacial envahit tout son corps. Salah sort un couteau de sa poche et, pris d?une rage terrible, assène plusieurs coups aux deux corps allongés. Aucun cri, sauf quelques gémissements. Salah, dans un état second, se remet et voit les deux cadavres ensanglantés et atrocement mutilés. Epouvanté, il rebrousse chemin et se dirige vers la sortie de la plage. Il marche comme un automate, le couteau serré dans la main. Il le jette dans les vagues avant de quitter la plage d?un pas alerte. Salah se rend à l?évidence qu?il vient de commettre un double crime. L?histoire des malheureuses victimes se propage telle une traînée de poudre. Toute la plage est en émoi. Les premiers éléments de l?enquête ont déterminé, après l?arrestation de Salah rendue possible grâce aux témoignages des baigneurs, que la fille n?avait pas été violée et que rien n?avait été volé. Il n?y avait aucun mobile apparent. Alors, double crime commis par un sadique ? ça en avait tout l?air. En tout cas, le mystère reste entier. Le destin avait voulu que le dernier rendez-vous des deux jeunes amoureux fût avec la mort. Le 20 juin 2004 au le tribunal criminel près la cour d?Alger, l?avocat général rappelle au prévenu la gravité de son acte. Les avocats de la défense se succèdent à la barre pour une longue plaidoirie au cours de laquelle ils usent de toutes les astuces possibles pour disqualifier le chef d?inculpation retenu contre l?accusé en le jugeant pour coups et blessures, écartant ainsi l?homicide volontaire. Le représentant du ministère public, dans son réquisitoire, refait lecture de l?arrêt de renvoi judiciaire avant de rappeler encore une fois à l?accusé la gravité de son geste. Il requiert la peine de 20 ans de réclusion criminelle. Après délibérations et lecture du rapport médical, la peine prononcée par l?avocat général est maintenue, à savoir 20 ans de réclusion, en vertu des articles 30, 254 et 263 alinéa 3 du Code pénal.