Le petit port d'El Djamila, appelé communément La Madrague, est l'une des destinations les plus prisées par les estivants. Cette plage rocheuse de Aïn Benian vit, en ces jours de canicule, une ambiance particulière. La spécificité de La Madrague est incarnée particulièrement par le nombre important de boîtes de nuit qui y ont élu domicile. La Méditerranée, El Djamila, California...etc. sont des noms parmi d'autres, désignant des night-clubs qui accueillent une clientèle des plus variés, venue profiter des nuits flamboyantes de ce petit port de pêche et de plaisance. Des pêcheurs tissent leurs filets à quelques mètres du bord de la mer et d'autres, installés sur les galets, tiennent avec révérence leurs cannes à pêche. Des familles, des couples et des personnes de tout âge, flânent sur la corniche. Les ronflements de moteurs des jet-skis couvrent les cris de joie des baigneurs. Au coucher du soleil, de grosses voitures s'approchent du quai pour remorquer les scooters. Les bateaux et les petites embarcations de plaisance y restent. Le panier lourd ou léger, les pêcheurs rentrent chez eux. Les promeneurs et les baigneurs se retirent progressivement pour laisser place aux passionnés de la nuit. Dames de compagnie et poisson grillé L'ambiance nocturne commence dès 20 heures. Les lumières des éclairages publics se confondent avec celles des phares de voitures et des enseignes publicitaires, aussi attrayantes les unes que les autres. Dans la rue principale d'El Djamila, les rythmes de la musique raï qui sortent du cabaret Raïs, côtoient les airs du folklore kabyle, lancés de l'intérieur d'un bar qui se trouve en face. Et les parfums forts des «dames de compagnie» se mêlent aux odeurs de poisson grillé. La circulation automobile et des piétons, gagne en densité, au fur et à mesure que la lumière du jour disparaît. Certains consommateurs de liqueurs, s'approvisionnent auprès des dépôts et se mettent à boire en petits groupes, sur les rochers de la plage. «Je préfère les dépôts, ils affichent des prix plus bas que ceux des bars et des boîtes. Cela en plus de la tranquillité que nous trouvons dans cette qaâda, au bord de la mer», confie un fan du MCA, tout en observant amoureusement sa bouteille de Coteau de Mascara. Dans les bars, comme c'est le cas dans «Le Pêcheur», la canicule qui sévit sur le pays fait l'essentiel de l'animation autour d'un comptoir où les consommateurs font du coude à coude. Les discussions vont bon train sur les coupures d'électricité et chacun y va de son histoire. Les chopes et les bouteilles de boissons rafraîchissent tout de même les humeurs des fêtards de tout âge qui trouvent le moyen de tourner en dérision la situation en racontant des blagues sur les incidents qui surviennent sur le réseau électrique. Mais très vite, c'est le sport roi qui reprend le dessus, avec des commentaires des fans sur les derniers matchs disputés par la JSk et le Nahd. Et il n'en fallait pas plus pour que les Mouloudéens revivent leur coupe d'Algérie avec force détails. Ces soirées qui débutent dans les bars se poursuivent dans les discothèques. A peine la nuit tombée, «La Méditerranée» fourmille déjà de monde. Cette boîte sise au centre de La Madrague est l'une des plus importantes du coin. Les chargés de la sécurité de la maison procèdent au triage des clients avant leur entrée et les personnes jugées perturbatrices ou en état d'ivresse sont interdites d'accès. Pourtant, la porte ne cesse pas de fournir de nouveaux arrivants dans l'enceinte de «La Méditerranée». Une chanteuse à la voix rauque enflamme les sens de ce beau monde par les chansons de Chaba Kheira. Mais la piste de danse «explose» lorsqu'un groupe de trois jeunes danseuses très prestes, y prennent pied. «Ce sont les vedettes de la discothèque, plusieurs clients viennent spécialement pour les voir, elles sont très sollicitées...», nous révèle un voisin de comptoir qui dégustait son whisky. A El Djamila, la piste de danse est animée par le style guessba, et celui des medahat. Cette discothèque est réputée pour ses genres musicaux traditionnels qui ont leur large public. Les lumières rougeâtres et verdâtres de cet endroit donnent l'impression de se trouver sur une autre planète. Des femmes aux visages colorés par d'innombrables couches de maquillage tiennent compagnie aux clients installés sur des fauteuils confortables. Deux hommes qualifiés de «begara» par le barman attirent les filles de cette discothèque. Les manches retroussées, le barman nous explique que ce genre de clientèle dépense chaque nuit de grosses sommes d'argent, la plupart d'entre eux sont des éleveurs de bétail ou des commerçants qui activent dans le même domaine. L'histoire de Bakhta L'atmosphère au California est tout autre. Les cris de «recheqa» ou de «tebrah» agrémentent la musique assourdissante. Les dames de compagnie sont le centre de cette ambiance. Une jeune brune prend place à notre table. Bekhta, cette fille de Mostaganem, a bien voulu nous raconter sa vie. Elle a fui la maison paternelle après être tombée enceinte. Des scénarios semblables se répètent pour ces femmes qui exercent le plus vieux métier du monde. Etant l'aînée de 5 orphelins, Souad raconte que la pauvreté l'a poussée à se prostituer. «Pour vivre, je n'avais rien d'autre à faire que de vendre mon corps, depuis que j'ai seize ans», lâche-t-elle, avant de poursuivre: «Notre société est cruelle. La majorité des filles qui travaillent dans ces lieux sont des victimes de la pauvreté, de leurs parents ou des hommes qu'elles avaient aimés.» Le rang de chacune est déterminé par sa beauté ou son rendement sur la piste de danse et aussi par son talent à pousser les clients à boire et à s'engager dans la compétition de «tebrah». Les animatrices de ce lieu de plaisir, se plaignent d'être exploitées: «C'est aux propriétaires des discothèques que revient la majeure partie de nos gains» et aussi de la violence qu'elles subissent de la part de certains clients peu avenants. Souad nous avoue que le métier attire également des étudiantes, qui mettent «notre pain en danger». «Des call-girls, jeunes et d'une beauté éblouissante, épuisent leur jeunesse entre le sexe, l'alcool et la drogue», dixit Bekhta. Elle porte une chemise rouge entrouverte et une micro-jupe. Elle a gardé le silence un certain moment, avant de demander à notre compagnon Abd El Ali de participer dans les «recheka» pour lui faire passer une chanson de Bilal. Des chanteurs et des chanteuses dont les noms sont précédés par Chab ou Chaba, interprètent les chansons demandées à coups de billets. C'est là que la rivalité propulse «la valeur des chansons», au point d'atteindre plusieurs millions de centimes. Autre fait à signaler, le prix d'une bière qui coûte 100 DA dans un bar, peut atteindre les 400 DA dans un night-club. Aux environs de 2 heures du matin, l'effervescence atteint son pic, la piste grouille de danseurs. L'alcool et les femmes aidant, des rixes éclatent quelquefois. Deux videurs saisissent un client surexcité et le mettent à la porte. Ses copains manifestent alors leur mécontentement et la situation a failli dégénérer. L'expulsé regagne finalement sa table, sous condition de ne pas revenir sur la piste. Aux environs de 4 heures du matin, la soirée touche à son terme. Les habitués de l'endroit se retirent l'un après l'autre. Certains pour rentrer chez eux et quelques clients, par contre, regagnent leurs chambres dans les étages supérieurs du California. Dehors, la brise marine rafraîchit les esprits. Quelques grisés battent encore le pavé. C'est à ces moments-là, à la fin des soirées, que des personnes peuvent être agressées par des voyous. Ces derniers choisissent leurs victimes parmi les clients soûls, nous explique Tahar, qui travaille depuis un peu plus de quatre ans comme fraudeur. Les fraudeurs, explique ce maigre quadragénaire, sont le seul espoir pour les clients non véhiculés, à partir de 22 heures, il est quasiment impossible de trouver un taxi. Les agressions se font de plus en plus rares mais cela ne veut pas dire que la sécurité est absolue. La semaine dernière, deux personnes ont été dépossédées de leur argent et de leurs portables, par une bande de quatre personnes qui ont utilisé des armes blanches et des bombes lacrymogènes. La scène s'est déroulée dans un passage isolé qui donne accès à la plage. Rachid, un jeune vendeur de tabac et de cacahuètes, qui a installé son commerce à la sortie de El Djamila, nous a déclaré de son air rassurant que les descentes répétées de la police, notamment depuis le commencement de la saison estivale, ont fini par installer un climat de confiance. Aux environs de 5 heures, un calme parfait régnait sur La Madrague.