Il y avait un roi qui était un homme juste ; il n'exploitait pas ses sujets. Bien au contraire, il voulait savoir comment ils vivaient, comment ils travaillaient, bref, comment les choses allaient dans son royaume. Afin de s'en rendre compte personnellement, il lui arrivait de temps à autre de porter des vêtements ordinaires pour que personne ne le reconnaisse et de se mêler à la foule. Un jour, ainsi déguisé, il arriva dans un village où il vit un homme qui piochait pour creuser un fossé. «Que fais-tu donc ? lui demanda le roi. ? Tu ne le vois donc pas ? Mon seigneur m'a ordonné de creuser un fossé», répondit l'homme sans ambages. Et il se remit à extirper la terre des profondeurs. «Tu as là une tâche difficile, n'est-ce pas ? compatit le roi. ? On peut le dire ! dit l'homme en se redressant et en essuyant la sueur de son front. Je dois me servir de cette pelle du matin au soir, rien que pour gagner un morceau de pain. ? Mais, pour ce travail, tu vas gagner pas mal d'argent, non ? insista le roi. ? Eh bien ! Ma pelle pourrait me rapporter assez mais, quand je fais le compte de mon salaire, il me reste à peine de quoi me faire une petite soupe, répondit l'homme en creusant de nouveau la terre. ? C'est sans doute que tu comptes mal, affirma le roi. ? Comment ça, mal ? Regarde ! expliqua l'ouvrier en redressant le dos et en s'appuyant sur sa pelle. Je jette à l'eau la première partie de mon salaire. Avec la seconde, je règle mes dettes. Je prête la troisième part, qui est la plus importante. Et il ne me reste plus que la quatrième, la plus modeste, pour que ma femme et moi ne mourions pas de faim.» Le roi hocha la tête avec compréhension. Il fit un signe d'adieu à l'homme qui piochait et s'en alla. Mais il continua à songer à ses paroles sans parvenir toutefois à bien en saisir le sens. Quand il retourna en ville, à l'heure du dîner, il vit que l'homme piochait toujours. Le roi s'arrêta près de lui et lui dit avec amitié : «Ecoute, mon gars, je suis ton roi. Je me déguise parfois, afin de me rendre compte par moi-même de la façon dont vivent mes sujets. J'ai réfléchi à la façon étrange dont tu divises tes gains et je n'ai pu en trouver le sens. Explique-moi bien cela et je te donnerai trois pièces d'or. Les voici.» (à suivre...)