Résumé de la 5e partie Les cow-boys tuèrent tout le monde. Dès lors, une quinzaine d?Indiens vont vivre la plus incroyable des clandestinités. L'Indien, qui s'est remis en pagne pour la circonstance, lui fait toutes les démonstrations qu'il veut. Il commence par imposer le silence total à ses amis ethnologues, les obligeant à se taire et à rester immobiles. Puis il se met à ramper silencieusement et à humer l'air. Si c'est un lapin qu'il a vu ou senti, il reste caché et, posant deux doigts sur les lèvres, il émet un bruit de baiser ressemblant au cri doux et plaintif du lapin en détresse. Cela peut attirer le lapin, mais aussi un lynx, un puma, un coyote ou même un ours, qui croit trouver une proie blessée. Toujours à la demande de Waterman, content de lui faire plaisir et de voir que les hommes blancs s'intéressent à ce qu'il sait, Ishi imite ainsi à volonté la caille, l'écureuil, l'oie sauvage, tout ce qu'on veut. Pour attirer un cerf qu'il a repéré, il suce une feuille d'arbousier pliée entre ses lèvres comme le font les jeunes faons, avec le même bruit. Cela attire les daines qui croient entendre un petit égaré. Enfin, Ishi montre à ses amis le rocher où il a été aperçu un jour, probablement vers 1907, par l'éclaireur d'un groupe d'ingénieurs faisant des relevés pour un barrage dans le canyon. L'éclaireur ramène les autres Blancs surexcités. Ils se mettent à chercher, et tombent droit sur la grotte de l'ours. Le vieil homme débile et la s?ur de Ishi s'enfuient d'un côté, lui d'un autre. Seule reste dans la grotte, cachée dans un trou, sous une couverture, sa vieille mère impotente. Les hommes blancs la trouvent. Elle croit qu'ils vont la tuer. Ils la laissent. Mais avec une admirable inconscience, alors qu'ils ont vu Ishi, sa s?ur et le vieillard s'enfuir, ils emportent tout ce qu'ils trouvent dans la grotte : les pointes de flèches, la viande et le poisson fumé, les fourrures d?animaux pour le froid... Ils ne font même pas cela méchamment. En 1913, on est loin de la guerre avec les Indiens. Tout simplement, ils raflent des souvenirs. Ils pourront ainsi prouver, dans la vallée, qu'ils ont vraiment aperçu des Indiens nus et sauvages, alors qu'on les croit disparus depuis quarante ans ! Ishi, caché au loin, les voit tout emporter. Quand il revient à la grotte, après leur départ, il n'y reste que sa mère. Il ne reverra jamais plus ni sa s?ur ni le vieillard débile enfuis de leur côté. Il les supposera tombés dans le canyon, ou morts quelque part pour tout autre raison. Alors, démuni de tout, Ishi prend sa vieille mère impotente sur ses épaules et l'emmène plus profondément dans les bois. Le plus loin possible de la grotte, désormais repérée. Et pendant presque trois ans encore, il la nourrira et l?empêchera de mourir de froid ! Deux jours après le pillage imbécile de la grotte par les gens du barrage, il s'est déjà confectionné une lance avec une branche droite et un morceau de caillou pointu. Il tue un cerf, le dépouille, nourrit sa mère et la couvre avec la peau, dans un trou qu'il a creusé pour elle ! Quand enfin elle meurt, elle qui l'avait sauvé enfant du massacre de 1865, il comprend qu'il est le dernier des Yanas. Comme il est resté fidèle à ses croyances et à sa religion, après l'avoir enterrée, il se brûle les cheveux en signe de deuil, comme le fait sa tribu depuis quatre mille ans. Et enfin seulement, comprenant que son univers vient de mourir, il laisse sa lance de pierre, descend le canyon et marche vers les hommes blancs. «C'est là, conclut le professeur Waterman, qu'il se couche dans le corral, nu, squelettique, à demi-mort de faim et surtout de résignation. Et c'est là que les chevillards de l'abattoir se demandent : ?Mais qu'est-ce que les chiens ont donc à aboyer ?? Ce qui est assurément unique, dans l'aventure de cet homme, c'est que né dans l'âge de pierre et l'ayant vécu le dernier en Amérique du Nord pendant cinquante ans, il soit venu se livrer au monde moderne le matin du 29 août 1911 à l'aube, et qu'en cinq ans, il s'y soit adapté, parcourant une évolution qui correspondait à des milliers d'années ! Il a même réussi à apprendre suffisamment d'anglais pour témoigner de ce que nous avions détruit. «Malheureusement, concluent les professeurs Kroeber et Waterman, c'est nous qui l'avons tué sans le vouloir, en le ramenant en haut de son canyon sauvage, au printemps de 1916. Nous voulions tellement qu'il nous raconte en nous montrant les endroits ! Pour nous faire plaisir, il s'est remis en pagne, ce dont il avait perdu l'habitude. Et il a pris froid. Il est mort de la tuberculose le 15 mars 1916, âgé d'environ cinquante-quatre ans. En fait, à cause d'un mystérieux tabou, il n'a jamais voulu dire ni son vrai nom ni aucun des noms de sa tribu décimée. C'est pourquoi nous l'avions appelé Ishi, ce qui en dialecte Yana signifie ?l'homme?. Et c'était bien un homme, intelligent et digne. Il trouvait notre civilisation passionnante, mais pas supérieure à la sienne. Il disait que nous lui paraissions des enfants blasés, intelligents mais manquant de sagesse. Il nous disait, peu avant sa mort : ?Vous savez beaucoup de choses, mais beaucoup de choses vous trompent...? Pendant cinq ans, il a taillé des pointes de flèches pour les visiteurs du musée, derrière une vitrine parce qu'il avait peur de la foule. Nous avions même réussi à le faire salarier et à le faire nommer aide-concierge titulaire. C'est pourquoi il nettoyait lui-même la vitrine derrière laquelle il était exposé. Avec beaucoup de soin, comme tout ce qu'il faisait. Et une grande dignité.»