Résumé de la 4e partie Les commandants des deux navires tentent la man?uvre ordonnée par l?amiral. Pourront-ils éviter de s?encastrer l?un dans l?autre ? Silence de l'amiral qui ne comprend rien et rebouche son tube acoustique ! Voici encore plus fort : le commandant du «Victoria» fait parvenir à l'amiral, par écrit, en termes de service pour bien se couvrir, un avertissement formel : «Honneur vous rendre compte que selon exécution votre ordre confirmé par écrit, nous allons être abordés par le «Camperdown» dans six minutes et quinze secondes environ, par le travers tribord.» Pendant ce temps, crachant leur fumée noire et leur vapeur, suivis à la queue-leu-leu, chacun dans sa file, par les douze autres navires, les deux plus beaux cuirassés de la marine anglaise, gouvernail braqué à fond, s'avancent majestueusement l'un vers l'autre, en leurs deux sillages, traçant exactement les courbes prévues ; celles du «Victoria» un peu plus arrondie. Un peu avant qu'il ne soit trop tard pour man?uvrer le commandant du «Camperdown» envoie le pavillon suivant : «Votre route va couper la nôtre : écartez-vous !» Il l'envoie parce que c'est réglementaire de l'envoyer dans cette situation. ? Mais il ne s'écarte pas lui-même, puisqu'il en a reçu l'ordre. Au commandant du «Victoria» de désobéir de son côté, s'il le décide... Mais le commandant du «Victoria» ne dévie pas non plus de sa courbe, pour la même raison. En revanche, au dernier moment, quand l'abordage n'est plus évitable, les deux commandants donnent le même ordre . «Machine arrière toute ! L'équipage aux postes de secours !» Une seule différence dans les deux ordres : le commandant du «Victoria» ajoute : «Paré à abandonner le navire !» Parce qu'il sait que c'est lui qui va être sabordé par l'étrave de l'autre, et qu'il va couler. Le commandant du «Camperdown», lui, sait que son étrave va pénétrer dans le travers du «Victoria», qu?elle sera fracassée, mais que son navire ne coulera pas. Il donne donc l'ordre de préparer les chaloupes, pour sauver les rescapés de l'autre ! Jusqu'au dernier moment, l?amiral Tryon s'enferme inexplicablement dans un mutisme hautain. Et à l'endroit prévu, à la seconde prévue, à pleine vitesse de croisière, le «Camperdown» enfonce profondément son éperon dans l'avant-tribord du «Victoria» : le pire c'est qu?en 1893, les cuirassés ont encore un éperon à l'étrave sous la ligne de flottaison, destiné à saborder l'ennemi en dernier recours ! Le beau cuirassé «Victoria», navire amiral de l'escadre anglaise de la Méditerranée, orgueil de la Grande-Bretagne, coule sur place en quelques minutes. Bilan : trois cent cinquante-neuf morts, écrasés dans la collision ou noyés, dont vingt-deux officiers. ? Le commandant du «Victoria» quitte le bord le dernier, comme il se doit. L'amiral Tryon apparaît un instant sur la passerelle de commandement. Au dernier moment, on lui jette une bouée de sauvetage. Il la refuse et sombre en saluant. La dernière vision qu'on aura du «Victoria», c'est la marque personnelle de l'amiral Tryon, petite oriflamme triangulaire flottant au plus haut mât, juste avant de disparaître sous la surface. Les autres bâtiments ont eu le temps de man?uvrer et de faire machine arrière. Quelques mois plus tard, les commandants du «Camperdown» et du regretté «Victoria» comparaissent à Londres devant le tribunal naval. Le tribunal déclare qu'ils auraient dû protester plus énergiquement contre une man?uvre aussi absurde. Mais il ajoute ceci : «Considérant l'intérêt du service, il n'est pas souhaitable de les blâmer pour avoir obéi aux ordres de leur supérieur»... Ainsi sombrèrent, le 22 juin 1893, trois cent cinquante-neuf marins et vingt-deux officiers avec le cuirassé «Victoria», devant les côtes de Syrie : dans l'intérêt du service.