Les pêcheurs du dimanche existent chez nous aussi, sauf qu?ils taquinent le goujon les vendredis. Mohamed et son père, deux Oranais de souche, ont pris, depuis des années, l?habitude de fuir leur misérable quartier de Miramar pour aller jeter leurs filets à Terga. Tous les jeudis, en début de week-end, c?est le même rituel et tous les vendredis, à l'aube, ils retirent discrètement leurs filets du large. Avec le même rituel. Il y a en général de tout dans les mailles : du rouget, de la sardine, du pageot, de la bonite et même des calamars. Généreux comme tous les pauvres et grands seigneurs comme tous les fauchés, en arrivant, ils partagent systématiquement leur butin avec les voisins. Bref, dans l?immeuble, tout le monde se régale le vendredi soir aux frais de la princesse. Or, vendredi dernier, alors que le soleil se levait à peine, les deux pêcheurs eurent toutes les peines du monde à remonter leur filet. Et pour cause : le poisson pris dans la nasse pèse au moins 70 kg. Sitôt arrivés sur la berge, ils furent accostés par une vieille émigrée qui avait loué un cabanon et qui leur proposa sur-le-champ 5 000 DA pour cet animal exceptionnel. C?est plus que ce que gagnait Mohamed en un mois dans le cadre du filet social. Ce soir-là, les voisins firent un peu la tête, et on les comprend? mais les deux pêcheurs firent certainement la fête, et on les comprend.