«Nous vivons sous l'empire de la magie, mais on n'a pas le courage de le reconnaître !», c'est la conclusion d'un colloque dédié à Dracula qui a réuni à Bucarest, il y a quelques mois, plusieurs académiciens, anthropologues et ethnologues roumains et américains. Pour cette vingtaine de chercheurs qui répondent chaque année à «l'appel du comte» en participant à divers congrès et colloques sous la houlette de la société Transylvanie de Dracula, parler de surréel et de vampires c'est avoir «la force morale de s'attaquer à une réalité qu'on ne doit surtout pas ignorer». «Dans un monde souvent dominé par des menaces terroristes qui échappent à toute logique, nous devons apprendre à être ouverts aux miracles, à l'irrationnel», affirme Nicolae Paduraru, président de la société Transylvanie de Dracula et organisateur de ce colloque, accueilli par une salle baroque du musée d'histoire de l'art de Bucarest. «Pour cela, il faut chercher dans nos racines, dans notre folklore. C'est précisément ce que la très conservatrice Angleterre de l'époque victorienne a fait dans le célèbre roman de l'écrivain irlandais Bram Stocker pour pouvoir percer le mystère entourant le fascinant personnage de Dracula», précise-t-il. Le roman Dracula, paru en 1897 est inspiré du mythe créé autour du prince sanguinaire roumain du XVe siècle, Vlad Tepes (l'Empaleur). Le directeur de l'Institut de l'histoire de l'art, Silviu Angelescu, a reconnu qu'il n'y avait pas d'explication scientifique «pour le comportement de six Roumains» qui ont profané le corps d'un villageois devenu, selon eux, vampire. «Ces pratiques remontent à un temps immémorial, pourtant nous ne sommes pas encore prêts à comprendre de tels rituels», affirme M. Angelescu. En février dernier, un homme avait déterré le corps de son beau-frère de 76 ans, décédé d'un cancer au mois de décembre, en présence de plusieurs autres membres de la famille à Marotinul de Sus (sud). Les profanateurs n'ont pas hésité à extraire son c?ur avant de le brûler et d'en mêler les cendres avec de l'eau, qu'ils ont bue. «Ce rituel horrifiant est pratiqué depuis longtemps dans plusieurs régions de la Roumanie, en raison de son efficacité contre les vampires», a précisé M. Angelescu. «L'ail est également un célèbre bouclier antivampires, mais au long des années, les paysans ont découvert ses propriétés antibiotiques, en l'utilisant avec succès en cas de maladies contagieuses», a-t-il ajouté. Selon la directrice de l'Institut national d'ethnologie, Sabina Ispas, cette peur des vampires est «beaucoup plus accentuée dans les pays de l'Europe de l'Est qu'ailleurs». A la différence de l'Ouest, «la Roumanie ne cultive pas le modèle de la jeune fille sensuelle qui s'abreuve du sang des mortels. Dans les régions les plus traditionnelles de ce pays, la peur des vampires demeure réelle et donne toujours des frissons», a affirmé, pour sa part, Nicolae Paduraru. «C'est un aspect que la plupart des réalisateurs occidentaux de film semblent ne pas avoir compris. C'est pourquoi cette année, notre société accorde, pour la première fois, le prix Dracula à un documentaire américain, Bad company (Mauvaise compagnie) car loin de choquer, son réalisateur, Michael Hugues, retourne en arrière et cherche à comprendre ce qu'il y a derrière les ténèbres», a-t-il ajouté.