Scène ■ A la tombée du jour, les cimes et les coteaux luxuriants du Cerro Gordo au Mexique se muent en kaléidoscope. Le jeu de couleurs qui va du jaune au noir inspire les photographes amateurs. Mais la beauté imposante de cette montagne du sud du Mexique est trompeuse, car sous son sol se cache l'horreur. Le Cerro Gordo est un cimetière de cadavres sans nom. Le charnier géant où reposent des dizaines, ou plus probablement des centaines de disparus recherchés avec angoisse par leurs familles, parfois depuis des années, victimes d'une violence cauchemardesque liée au narcotrafic. Avec ses 140 000 habitants, Iguala de la Independencia est la troisième ville de l'Etat de Guerrero. En son centre se dresse l'église San Francisco, avec ses murs couleur saumon et son clocher décoré d'azulejos bleus. Tous les jours, le joli bâtiment historique est le témoin silencieux des mouvements, dans les environs, d'une armée de « faucons «. C'est ainsi qu'on appelle, au Mexique, les informateurs à la solde des trafiquants de drogue qui furètent partout pendant que leurs patrons restent terrés dans les montagnes. Depuis quelques jours, la ville est envahie par les journalistes venus de tout le Mexique et du reste du monde. Et « ceux d'en haut » veulent savoir ce que nous faisons, avec qui nous parlons, où nous nous hébergeons... La nuée de mouchards ne sait plus où donner de la tête. Les scooters rugissent pour suivre à la trace chaque véhicule ayant un écriteau « prensa « sur le pare-brise ou la lunette arrière. Les environs de tous les hôtels, voire même l'intérieur des établissements, grouillent d'individus louches qui attendent le bon moment pour prendre une photo discrète ou envoyer un message avec leur téléphone portable. L'événement qui nous amène ici s'est produit dans la soirée du 26 septembre 2014. Des autobus transportant des étudiants ont été attaqués par la police municipale d'Iguala et par des membres du cartel de narcotrafiquants Guerreros Unidos. Six personnes ont péri dans la fusillade, 25 ont été blessées et 43 élèves-enseignants de l'école normale d'Ayotzinapa se sont volatilisés. L'affaire a mis en lumière une connivence sans précédent au Mexique entre autorités locales, policiers et trafiquants de drogue. Depuis, des dizaines de suspects ont été arrêtés, parmi lesquels le leader présumé de Guerreros Unidos. Mais les raisons de l'attaque et le sort des 43 disparus restent une énigme. Dans le ciel au-dessus du Cerro Gordo, les urubus, ces vautours d'Amérique latine, planent sans interruption. Cela fait plusieurs jours que les étudiants ont été vus pour la dernière fois, et une opération policière de grande envergure a démarré pour tenter de les retrouver. A Suivre...