Destin Kouider E. est un jeune technicien du sport, trois fois champion d?Algérie en athlétisme. Une méprise ou un coup monté l?envoie en taule. Kouider a été pris avec 600 g de came dans son cabas. Il jure que la drogue ne lui appartient pas. Il risque vingt ans de prison pour commercialisation. Le juge d?El-Affroun (Cour de Blida) évite de lui «trancher la trachée artère», en requalifiant le délit en «transport de stups», fait prévu et puni par le Code de la santé. Il est probable que le jeune fût au courant du contenu du cabas comme il pouvait avoir été utilisé comme «chair». Devant le tribunal, le détenu prend un méchant «cinq ans» ferme. Ses parents interjettent appel. Mes Aouam et Djamel Boulefrad sont constitués. Deux poids lourds, des barreaux de Blida et d?Alger. Le dossier arrive devant la terrible Latifa Kessenti, la présidente de la chambre pénale de Blida. Le malheureux Kouider lui, qui, il n?y a pas moins d?une décennie a fait résonner Kassaman sous des cieux connaisseurs, se trouve nez à nez, très loin de chez lui, face à une magistrate qui ne fait pas dans la dentelle lorsqu?il s?agit de trafic de drogue. Pire pour Kouider, puisqu?il est poursuivi aussi pour port d?arme prohibé, fait prévu et puni par les articles 1,2,7 du décret du 16 mars 1963, c?est dire si c?est vieux comme loi. «Oui, j'avais sur moi ce poignard. C?est pour égorger avec?», précise le détenu avant que la présidente n?achève elle-même la phrase : «Des moutons et des béliers, je suppose». L?inculpé dit : «Oui, madame.» Dans un bon jour, Kessenti fait de l?humour et létalage d?une large culture générale en jetant au milieu de cette atmosphère où le drame et l?enjeu règnent en maîtres : «Un athlète champion de sa catégorie, armé d?un poignard, ça va faire une bonne version de Tarzan». Il y a, parmi l?assistance, ceux qui sourient et ceux qui grimacent. La juge semble passer outre au port d?arme blanche et revient aux stups : «Si on a tout dit, les avocats sont priés de plaider sans trop faire perdre son temps à la chambre», marmonne la juge qui ignore totalement le parquet qui ne peut requérir puisque non «appelant». En deux temps trois mouvements, Me Aouam refuse net de revenir sur les faits, mais s?attarde sur la rudesse du verdict. «C?est super exagéré pour des poussières de chira», s?est-il exclamé avant d?aborder la personnalité de l?inculpé et ouvrir une parenthèse sur les classifications de la drogue : «Celle qui a été trouvée sur notre client n?est ni de la cocaïne du cartel de Cali ni un poison». Enfin le conseil réclame beaucoup d?indulgence de la part du trio de juges qui devaient prendre en considération le fait que Kouider a été un simple relais, de la «chair à canon» qu?on a surpris avec six cents grammes de poudre brune alors que, peut-être, au même moment, des tonnes de cocaïne passaient au nez et à la barbe de ceux qui étaient tout fiers d?avoir pris un ide. «Les Requins, eux, étaient déjà loin», conclut l?avocat convaincu que Kouider allait s?en sortir, avec un peu de dégâts psychologiques. Egal à lui-même, maîtrisant les deux langues, Me Boulefrad, le second défenseur, fera, cette fois-ci, une exception : il ne criera pas comme d?habitude. Il n?élèvera pas la voix, ni le ton. Non, il fera pire il hurlera carrément, car il sait que certains juges suivent mieux lorsque le jeu en vaut la chandelle. Il le fera tant et si bien pour sauver les plus beaux jours de Kouider debout à la barre certes, mais avec l?esprit ailleurs, que toutes les mauvaises pensées qui traversaient son esprit seront reprises de vive voix par le défenseur. C?est ainsi qu?il évoque la perte de son poste de travail. Il regrettera la perte de l?honneur le fait d?être tombé dans un piège qui l?a mené à la détention de la came et à la détention préventive. Après avoir rendu hommage au juge de première instance d?avoir requalifié les faits de trafic de drogue en... «transport de stups», Me Boulefrad a beaucoup «regretté aussi qu?un sportif de renommée ait été oublié par les instances sportives ravies pourtant par les trois médailles d?or arrachées de haute lutte». «Madame la présidente nous avons tout dit et il ne nous reste plus qu?à vous demander de bien vouloir user des articles 53 du Code pénal et 592 du Code de procédure pénale, en l?occurrence l?octroi de larges circonstances atténuantes.» La présidente effectue une mise au point sur la classification des drogues après quoi, elle décide de réfléchir en prenant un peu de recul avant de prendre sa décision. Une semaine plus tard, Kouider ne sait pas qu?il a déjà purgé sa peine puisque les six mois de prison ferme infligés ont couvert la détention préventive, on est bien loin des cinq années d?El-Affroun. Kouider était heureux de rejoindre sa jolie et sympathique localité de Remchi (Tlemcen). Mes Boulefrad et Aouam n?en espéraient pas tant, eux, qui avaient insisté sur le transport de came, pas la commercialisation qui pouvait coûter très très cher ...