Jim Allyson, éleveur à San Gregono, une petite ville de Californie, surveille la rentrée du bétail dans les vastes enclos de son exploitation. Une demi douzaine de vachers s'appliquent à canaliser les bêtes. Soudain, une bousculade se fait à l'entrée du corral. Dans un concert de mugissements, les bœufs, mal guidés, se heurtent les uns les autres. Jim Allyson lance son cheval dans cette direction. — Quel est l'abruti qui a fait cela ? Un gringalet de trente-cinq ans environ, perdu au milieu du troupeau, redresse la tête, l'air effaré. — Ce n'est pas ma faute, patron... Jim Allyson a un geste de colère. — C'est encore William ! Mais tu ne seras jamais bon à rien, mon pauvre garçon ! Allez, remets-moi tout cela en ordre et après, tu iras t'occuper de l'étalon. Le prénommé William ne réplique pas et se met en devoir de réparer sa maladresse... C'est vrai qu'il n'a pas l'air particulièrement dégourdi. Il n'a pas l'air de quoi que ce soit de spécial, d'ailleurs. II est terne, insignifiant. A trente-cinq ans, William Laurens est le plus ancien employé de l'exploitation Allyson. II y est arrivé il y a quatorze ans, à l'âge de vingt et un ans. D'où venait-il ? Que faisait-il avant ? Nul ne le sait. Rien de bien sensationnel, à en juger par son allure et son comportement. Alors que les autres vachers ne faisaient que passer, lui s'est complu dans ce travail monotone au possible. Il habite une petite chambre dans la ferme même et il n'en sort pour ainsi dire jamais... Les bêtes sont entrées enfin dans le corral. William Laurens fait faire demi-tour à sa monture et se dirige vers l'enclos de l'étalon. Même ,à cheval, il n'a pas fière allure. De taille moyenne, les jambes courtes, les cheveux blonds coupés en brosse, des taches de rousseur sur les joues, il a encore un peu l'air d'un adolescent. A quoi songe-t-il en cet instant précis ? Mystère. En tout cas, il devrait penser que sa monture est une jument et qu'il faut faire attention à l'approche d'un étalon. La bête devient brusquement nerveuse. Elle a une violente ruade. William Laurens ne s'y attendait pas. Il est déséquilibré et part en vol plané. C'est sa tête qui touche la première le sol. Il ne se relève pas... Il est transporté à l'hôpital où son état est jugé préoccupant, sans que ses jours soient en danger. Il reprend d'ailleurs connaissance peu après. II appelle l'infirmière, qui accourt aussitôt. — Ce n'est rien. Vous êtes tombé de cheval. Mais, à sa grande surprise, William Laurens se dresse sur son lit, le regard fixe et même halluciné. — Apportez-moi des pinceaux — Pardon ? — Des pinceaux pour peindre. Et aussi des couleurs, une toile et un chevalet. L'infirmière regarde le jeune homme et lui lance un bref sourire. — Je vais chercher cela. Je reviens tout de suite... Bien entendu, ce n'est pas avec la palette et les pinceaux qu'elle revient, mais avec le docteur Sheppard, médecin-chef du service. Celui-ci examine William d'un air inquiet. — Il ne faut pas vous agiter comme cela. Le vacher s'agite de plus en plus, au contraire. — Où sont les pinceaux ? Hein, où sont-ils ? Le docteur Sheppard chuchote à l'infirmière de faire au blessé une piqûre de tranquillisants. Lorsqu'elle est faite et que William Laurens a sombré dans l'inconscience, il hoche la tête. — Je n'aime pas cela. Je n'aurais pas cru pourtant : les radios étaient bonnes. Mais évidemment, avec un choc sur la tête... Une semaine a passé. Le docteur Sheppard entre dans la chambre de William Laurens. Il a son dossier sous le bras. II y jette encore un coup d'œil et franchement, il n'y comprend rien. Tous les examens du blessé sont normaux. Il n'a pas de fièvre, il a bon appétit. II a d'ailleurs une constitution excellente, mais depuis sa chute, il est en proie à une idée fixe... A suivre