Quête ■ L'Alsace, région de l'est de la France, voisine de l'Allemagne. Voilà pour situer géographiquement le début du roman de Karim Bekkour, D'amours et de fantômes, paru aux éditions Dalimen. Mourad, jeune Algérien aux cheveux bouclés, beau, intelligent, attirant, suit des études universitaires à Strasbourg. Notre «Alexandre le Grand» s'épanouit au sein d'un groupe d'étu-diants comme lui, où l'amitié balaie toutes les différences. L'amour, il en fera l'expérience avec la fille aux yeux verts, Illana. Puis c'est avec Laura, une Alsacienne d'origine, qui a vécu en couple avec Laurent, qu'il va s'établir et refaire son nid. En Occident, les Maghrébins ne s'embarrassent pas de la virginité de la femme qu'ils vont épouser. Ce qui, une fois revenus au pays, devient inimaginable. Il faut bien s'immer-ger dans les mœurs du pays d'accueil pour une bonne intégration. Néanmoins, là-bas en Algérie, Nachida est son premier amour. Tous les deux sont établis, mariés. Un concours de circonstances aiguillonné par le destin voudra que cette dernière, qui l'a espéré, attendu, ne reçoive une carte postale perdue en chemin durant des années et une déclaration d'amour qui ne vint pas au moment opportun. Tout cela s'interprète par une conjoncture marquée par la main du destin et l'écriture romanesque. L'éloignement de l'un et de l'autre. La roue de la vie qui tourne immuablement Les existences de chacun se mettant en place pour atteindre son propre bonheur. Une quête humaine à rechercher la stabilité. Mourad, qui connaît la joie de vivre à deux avec Laura, la plénitude, l'installation définitive en France, ne peut étouffer la fêlure en lui, silencieuse, un appel intérieur, une présence multiple qui lui font ressentir les nombreuses absences liées à la terre natale. On les appellera le manque, ou les manques, également la parole de l'exil. Lui, l'auteur, les bapti-sera «fantômes». Ces présences invisibles le rattachant à son passé : liens familiaux, amitiés, rires, événements malheureux qui ont blessé le pays, le Sud, tout un contexte social charrié par la pensée. La perception dominante dans le récit est le sentiment de mélancolie, de nostalgie, d'attachement profond à la terre qui a vu naître l'individu. Ainsi, si le déracinement apparaît clairement dans et entre les lignes, la rupture avec le passé n'est pas entamée, ou ne peut être entamée. Les multiples absences s'autorisent à s'impo-ser et à faire durer l'appel de la terre natale où viendra mourir Mourad : «Crois-moi, quand la mort viendra briser tes liens, comme elle a brisé ceux qui m'enchaînaient, Et quand un jour que Dieu seul connaît et qu'il a fixé, Ton âme viendra dans le ciel où l'a précédée la mienne, Ce jour-là, tu me reverras et tu retrouveras mon affection purifiée.» Un roman dense, fourmillant de personnages, de détails historiques, littéraires, un tout émaillé de poèmes et de mélancolie.