Résumé de la 77e partie ■ Le silence qui régnait dans le musée enveloppa soudain Charlotte lui rappelant la solitude de sa jeunesse. Toutes les filles avaient vu Le Monde de Suzy Wong, et les vieux films de Charlie Chan à la télé. — Est-ce que ta grand-mère fume de l'opium ? lui avait une fois demandé une copine d'un ton innocent. Charlotte n'avait jamais trouvé le moyen de jeter un pont entre ses amies américaines et l'univers chinois de sa grand-mère. Elles semblaient toujours mal à l'aise dans la grande maison, comme si elles avaient craint que le méchant Fu Manchu ne surgisse de derrière une tenture. Johnny avait été le seul à sauter aisément le pas, habitué qu'il était déjà à évoluer entre deux cultures. Et Johnny avait fait disparaître sa solitude. Johnny, avec son impulsivité et sa spontanéité naturelles, l'appelait tout à coup au téléphone pour lui dire : — Hé, j'ai une idée fantastique ! Que disait-elle de passer la journée à monter dans le plus grand nombre de tramways possible, et de sauter en marche avant que le contrôleur ne les rattrape, comme ça, juste pour le plaisir de «gruger le système» ? Ou bien de téléphoner à l'œil au Caire ou à Athènes, en utilisant le sifflet contenu dans les boîtes de céréales Cap'n Crunch, parce que celui-ci émettait une fréquence de 2 600 MHz, identique à celle qui activait les appels longue distance de AT&T? Johnny ne se contentait pas de faire disparaître la solitude, il rendait la vie palpitante, spontanée, joyeuse. Et voilà qu'il était de retour avec sa passion et sa fougue. Et elle mourait d'envie de savoir quel genre de vie il avait mené au cours des dix dernières années. Mais pour rien au monde elle ne le lui aurait demandé. Car Charlotte savait que tôt ou tard il la quitterait, pour retourner auprès de sa femme, dans un autre monde. Chassant son chagrin et ses craintes — elle préférait ne pas penser à la porte du garage effondrée, qui, selon Knight, aurait été sabotée intentionnellement —, elle tourna son attention vers la collection de reliques. Songeant qu'elle pourrait peut-être y trouver des indices lui permettant de retrouver l'identité du maître chanteur, elle s'approcha de l'une des vitrines, dans laquelle la petite pancarte explicative disait : «Statue de la déesse Kwan Yin, environ 1924, Singapour.» Sa grand-mère lui avait raconté l'histoire de la statuette de porcelaine qui se trouvait dans la vitrine, mais Charlotte l'avait oubliée. Néanmoins, à présent, tandis que ses doigts se refermaient autour de la délicate figurine, elle sentit l'histoire lui revenir, celle de l'étrange destinée d'une déesse dont personne, pas même un voleur, n'avait osé s'emparer... Singapour, 1924 Lorsque le dernier paquebot fut entré dans le port, nous regardâmes les passagers s'engager sur la passerelle puis se diriger vers les baraquements abritant les bureaux de douane, après quoi ma mère se tourna vers moi et me dit — C'est la dernière fois, Harmonie-ah. Je n'irai plus désormais. A suivre