Monument n La statue de la fontaine d'Aïn El-Fouara, trônant place de l'Indépendance, au cœur de la cité, est aujourd'hui dangereusement et de plus en plus mise à mal. Victime de sa célébrité, elle a été piétinée, enfourchée, enlacée, bousculée par des centaines, voire des milliers de personnes ne lui voulant sans doute aucun mal mais avides de se prendre en photo à ses côtés. Inconscients des dommages qu'ils lui causent, ses admirateurs ne savent peut-être pas qu'il y a moins de deux décennies (le 22 avril 1997), la néréide de marbre blanc avait été réduite en morceaux par une bombe artisanale. Qu'elle avait été «assassinée» avant d'être ressuscitée grâce à la volonté d'une poignée d'hommes... «Qui a bu une gorgée de l'eau d'Aïn El-Fouara s'en retournera à Sétif !». C'est avec une solide assurance que les Sétifiens délivrent cette sentence à leurs hôtes d'un jour. Une sentence aussi lapidaire que parfaitement subjective puisque, naturellement, rien de rationnel ne la justifie. A moins qu'il ne s'agisse d'une «autosuggestion collective» que le temps a fini par transformer en croyance populaire avant de l'imposer, au fil des générations, en une espèce de truisme. Cela reste en tout cas symptomatique du rang qu'occupe cette belle et plantureuse naïade de marbre dans la hiérarchie des motifs de fierté qui font tant aimer Sétif de ses habitants. Des Sétifiens qui, pourtant, crurent, il y a un peu moins de deux décennies qu'ils ne reverraient plus jamais leur statue, un engin explosif subrepticement posé par un «illuminé» l'ayant réduite en morceaux. Mais un groupe d'hommes, les mains nues et armés de leur seule détermination, en ont décidé autrement. Les conditions qui présidèrent à la venue de la statue dans la capitale des Hauts-Plateaux, il y a plus d'un siècle, n'ont, en fait, aucun lien avec les «indigènes» locaux. La municipalité de l'époque, dirigée par Charles-Albert Aubry, s'était simplement résolue durant l'été 1894, par «coquetterie urbaine», à remplacer la fontaine de la place Nationale qui «menace de tomber» par une fontaine monumentale. Le maire se chargea lui-même de cette mission dont la finalité, en fait, était d'enjoliver le centre d'une ville occupée pour agrémenter les promenades des colons et les «permissions-spectacle» des conscrits de la garnison. C'est ainsi qu'Aubry se rendit à Paris en 1896 et demanda à être présenté à Monsieur le directeur des Beaux-Arts pour solliciter de sa bienveillance le don d'une statue pour décorer la future fontaine de la place Nationale. Débarquée précautionneusement au port de Skikda en juillet 1898, la statue fut transportée, dit-on, sur une charrette qui mit près de deux semaines pour rallier la place Nationale. Depuis plus d'un siècle, solidement carrée sur son socle de pierre, la naïade, dont la posture laisse à penser qu'elle cherche à scruter au loin, est le témoin impassible et indifférent des joies, tout en allégresses, et des tragédies, toutes de larmes et de sang, qui ont parsemé l'existence de «sa» ville. Elle était encore là, et bien là, malheureusement, en cette matinée d'avril 1997, quand les mains assassines rompirent le charme en commettant l'innommable forfait de la détruire et de réduire en fumée le mythe. Fragilisée, atteinte par les stigmates du temps, quelquefois violentée, elle se pavane encore aujourd'hui, pudiquement (et vainement) camouflée, comme par respect pour la mosquée El-Atiq voisine, entre les quatre platanes feuillus qui l'ont vue naître à Sétif.