Particulière par sa beauté, son histoire, son architecture, la fameuse Aïn El Fouara de Sétif ne cesse d'attirer et de fasciner les gens par sa magie. En effet, résistant avec autant de vaillance que d'impassibilité aux assauts du temps, parfois aussi à "la bêtise humaine", la belle naïade de marbre ornant "la fontaine monumentale de Sétif", comme on l'appelait à l'époque de son inauguration il y a 109 ans, continue de trôner majestueusement au centre-ville de Sétif entre quatre augustes platanes, comme elle plus que centenaires. Au fil des années, pour des raisons qui tiennent de la crédulité ambiante qui était de mise, au début du siècle dernier, dans les rangs d'une population enserrée dans le joug colonial, mais qui s'expliquent aussi par cet étrange besoin d'identification à une icône sacrée, supposée détenir des pouvoirs mystiques, la fontaine, qui prit le nom de Aïn El Fouara, s'attacha pour toujours le statut de "symbole" de la ville. Aujourd'hui, la seule évocation de Sétif fait immanquablement songer à Aïn El Fouara et à son eau limpide et a "magique" puisque, dit-on, qui y a bu, y reboira. Si l'été venu, entre l'aurore et le crépuscule, la capitale des Hauts-Plateaux tend à somnoler, si ses rues, comme pour prendre l'élan de l'animation tonitruante qui l'agitera lorsque l'astre flamboyant aura "pris ses quartiers" se dégarnissent quand il fait trop chaud, "la fontaine monumentale", elle, n'en finit pas de drainer la foule, du matin jusqu'aux heures les plus avancées de la nuit. Une foule bigarrée composée de simples quidams en quête d'un petit peu d'eau fraîche, de voyageurs qui sacrifient au rituel de cette halte mythique, de sétifiens des quartiers voisins qui emplissent leurs seaux, bidons et jerrycans, d'une flopée de photographes qui proposent l'incontournable photo souvenir à côté de "la belle dame" et d'une multitude de vendeurs de "souvenirs de Aïn El Fouara" qui cèdent de petites et approximatives répliques en plâtre de la fontaine. L'on aurait pu penser, pourtant, il y a quelques années, quand fut réalisé, au sud de l'agglomération, le contournement qui permet d'éviter aux automobilistes de passage d'avoir à traverser la ville, que "l'effet magnétique" de Aïn El Fouara s'estomperait. Or, non seulement, l'attrait des lieux ne s'en est pas trouvé le moins du monde affecté, mais il est loisible de constater qu'il a décuplé. Trouver aujourd'hui, pour quelques petites minutes, une place de stationnement pour se rafraîchir, équivaut quasiment à une mission impossible. D'où peut bien provenir cet engouement pour la fontaine de Aïn El Fouara ? "Sa beauté !", soutient avec sérieux Abdelali B., un jeune étudiant d'une vingtaine d'années, "sa baraka !", rétorque sans rire la vieille Aldjia N., déjà munie du henné qu'elle va appliquer sur les joues de la naïade, "son eau, tout simplement, et le cadre agréable et ombragé créé par les quatre platanes", affirme pour sa part Abdelkader C., fonctionnaire flegmatique et poète à ses heures. En attendant que les vertus secrètes qu'on lui prête puissent être "prouvées", sa beauté, sa fusion naturelle avec son environnement et son apport incontestable au mobilier urbain de la ville, expliquent en partie la ferveur parfois mêlée de passion qu'elle suscite. Mais en partie seulement, car les mots "ferveur" et "passion" prennent toute leur signification lorsqu'on se souvient de "l'état" de toute la ville, en cette sinistre matinée d'avril 1997, quand les mains assassines d'illuminés commirent l'innommable forfait de détruire le mythe, de rompre si brutalement le charme. "Aïn El Fouara détruite !", "ils ont osé !", "Aïn El Fouara n'est plus" sont quelques uns parmi les titres de la presse algérienne, le lendemain de l'explosion d'une bombe artisanale qui coupa la statue en plusieurs morceaux. Le chagrin qui emplit la ville reste encore difficilement descriptible. Hommes d'un certain âge se prenant la tête et cachant mal leurs larmes, passants regardant, hagards, le socle vide et fumant, disaient le deuil qui frappa Sétif ce jour-là. Les mêmes larmes coulèrent à nouveau moins de trois jours après. Mais de joie, cette fois-ci. Une poignée d'Algériens, les mains nues, réussirent l'impossible gageure de reconstituer la statue. L'allégresse qui suivit la "ré-inauguration" de Aïn El Fouara, les youyous qui retentirent à n'en plus finir, les chants et les danses qui s'improvisèrent spontanément sur la place où se dresse la fontaine, trahissent une "vérité" que les sétifiens reconnaissent bien volontiers : Aïn El Fouara est bien plus qu'une belle statue surmontant une fontaine où coule de l'eau fraîche.