Ecriture - Un roman tout de passion jusqu'à le lire d'une seule traite sans vouloir le lâcher une seconde. Femmes maîtresses de leur destin comme nulle part ailleurs en Algérie. Elles sont azryates, courtisanes et poétesses, quelque peu déesses, femmes au foyer en avance sur leur temps, amoureuses, amantes, rebelles, indomptables et disciplinées au nom d'une terre des Aurès, rude et résistante. «Terre des femmes», paru aux éditions Chihab, s'ouvre sur le viol d'une petite fille. De ce triste événement qui marque une jeune à peine sortie de l'enfance se construit une histoire qui se prolonge sur cinq générations de femmes : Zwina, Tafsut, Yelli, Tadla, Aldja et Nara. Des prénoms qui chantent. Mais le plus fort en symbole reste celui de Nara. Elle sera baptisée du nom de leur village. Nara c'est aussi un cours d'eau et nombre de légendes que charrient les monts des Aurès. L'auteur insiste sur le côté fictionnel du récit. Elle n'a pas hésité à plonger sa plume dans une suite de drames et de tragédies, d‘événements historiques tristement célèbres ayant donné au livre une dimension poignante où les sensations, les émotions des sentiments, les relations intimes et humaines délivrent un message, celui de la témérité et l'énergie des femmes algériennes face à la mort, la dureté de l'existence, aux nombreux fléaux qui ont endeuillé les montagnes des Chaouia. «Terre des femmes» est un roman qui raconte la femme et la fait parler. Lorsqu'on pose d'ailleurs la question sur le devenir de la femme algérienne –thème sur lequel la romancière revient souvent– Nassira Belloula répond : «En tant que femme, j'aime écrire avec une voix qui m'est proche, par conséquent celle de la femme. C'est très important pour moi cette formation sur l'identité féminine. J'ai certes évolué dans un milieu assez ouvert, mais ce milieu se limitait à ma famille, l'extérieur, les voisines, cousines, parentes ainsi que le dehors, la rue, le lycée ont été pour moi un terreau exploitable dans mes écrits consacrés aux femmes. Les femmes y sont brimées culturellement avant de l'être socialement. Par conséquent, on est confrontés à une sous-représentation des femmes dans la littérature algérienne, peu d'auteur(e)s ont poussé leur curiosité «plumetique» au-delà de la condition des femmes dans le contexte d'une famille traditionnelle algérienne. Dans le roman algérien, les femmes sont souvent mères ou épouses, lorsqu'elles sont représentées maîtrisant leurs corps et émotions, elles sont soit de mauvaises vies, soit des exploitées. Parfois s'y glissent des héroïnes, mais sous le chapeautage de la Révolution. Des romans libérant la femme pas que du joug social, mais d'elle-même, et qu'elle prend conscience de son corps et de son ego, y jouir d'une manière consciente n'existent pratiquement pas où si peu ou d'une autre manière, elle l'est à travers la libération des mœurs et ce n'est pas la véritable appropriation du corps et de l'identité féminine.» - «Terre des femmes» et «La révolte de May» sont deux romans qui se rejoignent, d'où la question : pourquoi cette inclination à raconter des femmes sur plusieurs générations ? A cette interrogation, Nassira Belloula répond : «Jongler entre les générations me permet par conséquent de jongler avec le temps, de me saisir du passé et du présent pour en constituer la substance de mes romans. Je trouve de l'intérêt notamment à questionner l'Histoire et questionner la place des femmes non pas en tant que femme dans un rôle de femme, mais aller au-delà de cet imaginaire collectif qui restreint et efface tout autre rôle de la femme dans une société originelle ou contemporaine. Terre des femmes nous sort la femme des sentiers battus, chaque femme dans «Terre des femmes» est un roman. Il n'y a pas de femme vulnérable, faible, pleurnicharde, acceptant sa condition dans la soumission et la douleur, il y a juste la femme, celle qui réagit à ses pulsions, à son corps, à ses instincts, celle qui se bat sans se demander si son physique ou psychique de femme la contraint à une certaine distance.» Abordant le volet imaginaire dans sa création littéraire, la romancière réplique : «Il suffit de creuser un peu dans le sens qu'on veut dans notre histoire et patrimoine pour qu'on se retrouve avec une matière extraordinaire à exploiter. Quand j'ai une histoire qui cogite dans ma tête et que j'arrive à l'imaginer et imaginer mes personnages, commence alors un travail de recherche pour crédibiliser mon histoire comme je le faisais du temps ou j'exerçais comme journaliste. J'épluche tout sur la matière qui m'intéresse, lieux, histoires, événements mais pas seulement, rencontrer des femmes susceptibles de me permettre de peindre les traits et les caractères. Dans ce dernier récit, toutes les femmes sont des personnages fictifs, mais chacune porte en elle une histoire vécue à un moment où un autre de notre histoire.» - A la question sur le passé historique aurésien, imbriqué dans celui de l'Algérie, l'écrivain déclare : «Les Aurès sont un musée à ciel ouvert, ils recèlent tous les ingrédients nécessaires à la construction de notre histoire et identité, en commençant par le premier homo-sapiens découvert à mechta Larbi ou dans les grottes troglodytes datant de 10 000 ans avant notre l'ère chrétienne visible de nos jours à Maâfa (dans la wilaya de Batna) patrie de mes parents. J'aime défricher, fouiller et en sortir une moisson que j'exploite dans mes romans que ce soit le passé de l'Aurès ou de l'Algérie. Et l'Histoire de l'Algérie est si riche et ne commence pas avec l'avènement des troupes arabo-islamiques, c'est même une erreur de dater notre histoire à il y a 14 siècle, car l'Histoire du pays remonte à la période néolithique. Et ce sont tous les aspects de cette histoire qui m'intéressent. L'Histoire pour moi est une passion, ce qui m'a poussé à entreprendre des études en histoire à l'université de Montréal.» «Terre de femmes» est une longue narration à l'image d'une légende. D'où la question : pourquoi cette absence de dialogue dans le récit ? La romancière indique : «J'aime justement cet aspect de raconter un roman. C'est plus fluide, facile à lire, les dialogues je ne suis pas très encline à les utiliser sinon si peu, ça coupe pour moi la musicalité et la continuité d'un texte. J'aime me transformer en conteuse et mettre du sentiment dans le texte.»