Résumé de la 287e partie n Jamais je n'oublierai la façon dont, pour la première fois de sa vie, la tête de ma fille s'était immobilisée et son regard fixé sur le casse-tête… Je reposai ma tasse et dit à Mme Fong — Allons voir sur place. Laissant Iris aux soins de ma secrétaire, une femme d'âge mûr, fort capable, qui avait élevé des enfants et qui aimait beaucoup ma fille, j'accompagnai Mme Fong au vaste hangar qui abritait l'atelier où l'on fabriquait le Baume de Mei-ling. Sitôt que j'entrai à l'intérieur, un brouhaha assourdissant m'accueillit : à l'extrémité de la vaste salle, les ouvrières déversaient bruyamment le baume liquide contenu dans des chaudrons d'acier, tandis qu'autour des établis, au centre de la pièce, d'autres riaient et parlaient tout en triant, disposant et scellant les pots avec agilité. Des milliers de pots étaient en train d'être scellés puis étiquetés par des femmes qui se mouvaient rapidement entre les tables, saisissant ou déposant des objets, s'interpellant à voix haute, dans une atmosphère où flottaient une odeur de colle de riz, de fumée de cigarette, ainsi que l'arôme puissant du thé et des nouilles bouillies. Gideon m'avait un jour dit en plaisantant que mon usine ressemblait à un asile de fous. Il avait essayé de me convaincre de l'«occidentaliser». Mais lorsque j'avais visité une usine moderne de produits pharmaceutiques, j'avais été consternée par ce que j'avais vu. Où était le feng shui ? Où étaient les bâtonnets d'encens, les autels consacrés aux esprits bienfaisants ? Qu'en était-il des règles qui imposaient qu'on préparât les herbes médicinales uniquement pendant les jours fastes ? Dans le laboratoire que j'avais visité, la fabrication des produits se faisait chaque jour sans exception, et sans même consulter un spécialiste pour s'assurer qu'il s'agissait d'un jour propice. Les scientifiques occidentaux mélangeaient sans scrupule les bons et les mauvais augures, ils laissaient s'écouler l'eau qui emportait avec elle les bénéfices de la société dans les canalisations, les murs de leurs usines étaient blancs et les pièces trop lumineuses, si bien que l'équilibre entre le yin et le yang n'était pas respecté. Non, pas question de moderniser mon usine. Pas même par amour pour Gideon. Accompagnée de Mme Fong, je fis le tour d'inspection des cuves, et découvris des anomalies dans la for-mule du produit en cours de fabrication. Je m'aperçus également que des femmes étaient en train de fumer à leur poste de travail, ce qui était interdit. D'autres étaient en train de manger, si bien que les rouleaux deprintemps et les pousses de soja côtoyaient le Bliss et le tonique Golden Lotus. Mme Fong avait raison. Les ouvrières se laissaient aller. Nous regagnâmes le calme relatif de la cour centrale où les camions allaient et venaient, apportant de nouvelles cargaisons de plantes médicinales et emportant les remèdes manufacturés. — Qu'allons-nous faire ? demanda Mme Fong, visiblement hors d'elle. A suivre