Voyage Les deux femmes débarquent à Alger, un matin de l'année 1897. Tout à coup la ville surgit : maisons blanches dégringolant de la colline dans un bain de lumière. La jeune femme pousse du coude la femme qui, à ses côtés, s'est assoupie, accoudée au bastingage. ? Mère, dit-elle dans un souffle. ? Quoi ? dit la femme, qu'y a-t-il ? ? Mère, nous sommes arrivées à Alger ! La femme, emmitouflée dans sa fourrure, ouvre les yeux. ? Quoi ? Nous sommes arrivés, nous sommes à Alger ? ? Oui, mère, regarde comme c?est beau ! Le spectacle est, en effet, très beau. En ce matin de novembre 1897, il fait frais mais on est loin du froid de Paris, quitté il y a quelques jours et même du froid de Marseille d'où on a embarqué ! ? Tu as vu cette lumière, maman ? N'est-ce pas merveilleux ? ? Oui ma petite, n'oublie pas que nous sommes en Afrique ! ? Je sens que je vais aimer Alger, dit la jeune femme, mais c'est le Sud que je veux découvrir, le Sahara ! ? Mon Dieu, le désert, c?est si loin? Et puis c?est si dangereux ! ? Je veux découvrir le sable chaud, les dunes, chevaucher dans les espaces infinis... La mère secoue la tête. ? Isabelle, tu oublies que nous ne sommes plus à Paris. Ici, les gens ont une autre mentalité? Les Français comme les Arabes? ? Ne t'inquiète pas, maman, je saurais comment me comporter. Cependant, dès qu'elle débarque, elle se fait remarquer : elle porte des pantalons, une veste comme un hommes et des bottillons. ? Vous avez l'intention de vous installer en Algérie ? demande le policier qui vérifie d'un ?il soupçonneux les papiers des deux femmes. ? Nous ne savons encore rien, répond Isabelle, ma mère va rester quelque temps, moi, plus longtemps. Je compte me rendre dans le Sud ! ? Seule ? dit le policier. ? Oui, dit la jeune femme. Ne vous inquiétez pas pour moi, je me débrouille très bien ! Celle qui parle ainsi s'appelle Isabelle Eberhardt, elle n?a que vingt ans et appartient à une famille d'exilés politiques russes qui, après avoir sillonné l'Europe, s'est fixée en France. Isabelle est Française et, depuis toujours, elle a rêvé de se rendre dans les colonies, partir à la découverte d'autres mondes, notamment le désert. A cette époque, seules les villes du nord du Sahara étaient conquises ; le grand désert, lui, restait libre. Elle sait quels dangers une Européenne pourrait y courir : il y a quelques décennies, Alexandrine Tinné, une riche héritière hollandaise y était assassinée, mais le désir de partir, de découvrir de grands espaces est plus grand. Et puis, Isabelle a un plan : elle ne se comportera pas en Européenne dans le désert, elle apprendra l'arabe, elle se convertira à l'islam pour se faire accepter... (à suivre...)