Résumé de la 6e partie n Le sautériau était occupé à fabriquer une canonnière quand il avisa de loin le gros seigneur. «Hardi ! Miraud, hardi !» cria le sire à son chien. Miraud était un fameux lévrier. Son maître comptait qu'il ferait une telle peur aux lapins qu'ils s'enfuiraient à tous les diables ; mais, chose singulière ! ils l'attendirent de pied ferme et, loin de courir au gibier, Miraud se tint sur les talons du sire, la queue et l'oreille basses. Voyant sa ruse échouer, celui-ci suivit l'exemple des chasseurs, quand ils reviennent le carnier vide. Il s'approcha du sautériau. «Berger, lui dit-il en soufflant comme un bœuf, tu as là de bien jolis lapins. Veux-tu m'en vendre un ? — Mes lapins ne sont ni à vendre ni à donner, répondit le sautériau. Ils sont à gagner. — Ah !… et que faut-il faire pour les gagner ? — Me prêter votre figure afin que je m'exerce à la cible. — Je ne comprends pas. — C'est pourtant bien simple. Je viserai votre pleine lune et son gros nez me servira de petit noir, encore qu'il soit rouge. — Quoi ! marmouset, tu oses… — Voilà, fieu. C'est mon idée. — Voyons ! trêve de plaisanterie ! Combien veux-tu de ton lapin ?… Mille escalins ?» Pierre, sans répondre, se mit à bourrer son arbute avec de petites balles d'écorce de peuplier. «Dix mille ?» Il haussa les épaules. «Vingt mille ?» Il envoya un projectile sur le nez de Miraud. Le seigneur comprit qu'il n'en démordrait point. Il se dit qu'un moment de honte est bientôt passé, et qu'après tout, lorsqu'on a le malheur de ressembler à un muid, on ne saurait acheter trop cher l'agrément d'épouser une princesse belle comme le jour. «Ainsi, tu me donneras un de tes lapins ? — Oui, seigneur, sitôt que je l'aurai mis dans le petit noir. «Soit ! dit-il, mais dépêchons.» Il s'essuya le front et se plaça à la distance voulue. Pendant que les lapins broutaient l'herbe, trottaient, jouaient à cache-cache, Pierre s'amusa gravement à chasser dans la belle face ronde du gros seigneur une grêle de petits bouchons qui rebondissaient sur la peau comme des balles sur un tamis. Miraud regardait la scène à l'écart, assis philosophiquement sur son derrière. Le malin sautériau visait tantôt l'œil droit, tantôt l'œil gauche, tantôt la bouche. Jamais il n'atteignait le nez. «Touché ! s'écriait le sire de Nivelle. — Non, fieu. — Si. — Je ne joue plus, fieu de Dieu, si vous trichez.» A suivre