José a huit ans. Il sait exactement ce qu'il faut faire lorsqu'on prend l'avion, le bateau ou le train. Il serait capable de descendre seul dans un hôtel, et au restaurant de commander son déjeuner sans l'aide de personne. Suivi d'une nurse, il a fait cinquante fois le voyage entre Mexico, New York et San Francisco. A Mexico il dit au revoir à sa mère. A San Francisco il dit bonjour a son père, et ainsi de suite. Week-ends, vacances et fêtes carillonnées ont fait de lui le commis voyageur de ce couple divorcé. Un parmi des milliers d'autres, de ce côté de l'Atlantique. Mais aujourd'hui, 1er janvier 1967, José en a assez. Même à huit ans, ce sont des choses qui arrivent. Il règne ce jour-là, dans l'aéroport de NewYork, une ambiance bizarre. Un mélange d'excitation et de fatigue inhabituelle dues au 1er janvier sans doute. Les employés ont les yeux creux et les voyageurs sont plus pressés que d'habitude. Il y a ceux qui sont furieux de voyager un jour de fête, et ceux qui sont contents pour la même raison. José, lui, en a assez. C'est tout ce qu'il dit à sa nurse espagnole. «Pépita, j'en ai marre.» La nurse qui sommeillait a un sursaut : «Jose, on ne dit pas j'en ai marre. — Et qu'est-ce qu'on dit alors, quand on en a marre ?» Pépita ne sait quoi répondre. Quand elle en amarre, elle n'a pas le droit de le dire, alors, comment saurait-elle ? Depuis deux heures, les passagers du vol à destination de San Francisco attendent leur avion, lequel se fait de plus en plus problématique. On leur a dit : «Patience, une histoire de moteur, les vols sont surchargés.» Et on les a parqués là dans un salon avec des sandwiches et du café. José et sa nurse ont donc patienté avec les voyageurs de première classe. Mais l'attente se prolonge, et la nurse a sommeil. José la regarde s'endormir avec impatience. Dix minutes passent. José se lève, enfile son manteau, et va se promener. Il le connaît par cœur cet aéroport. Les marchands de journaux, les distributeurs automatiques, les affiches, les escaliers roulants, José traîne. Personne ne fait attention à lui, sauf un balayeur. Dans les grands aéroports internationaux il y a des balayeurs un peu partout. Muni d'un balai et d'une pelle à couvercle automatique, ils ramassent les déchets des grands voyages mégots, billets déchirés, papiers de chewing-gum, et autres trésors. Salut ! dit José. — Salut !» répond le balayeur. C'est un vieux noir, tout habillé de bleu. Il considère le gamin avec attention : «Où vas-tu ? — A San Francisco !» — T'en as de la chance !» José réfléchit. De la chance ? Pourquoi aurait-il de la chance d'aller à San Francisco ? C'est comme s'il avait de la chance d'aller à l'école, ou ce genre de chose. II ne comprend pas. «Pourquoi j'ai de la chance ? Ben moi j'aimerais bien aller a Frisco, c'est là que je suis né. Et tu n'y vas jamais ? — Non. — Pourquoi, t'y vas jamais ? Tu prends pas l'avion? — Jai pas d'argent pour ça, mon garçon.» José approuve avec gravité. C'est vrai. Où avait-il la tête ? Un balayeur ne gagne pa assez d'argent, sinon il ne serait pas balayeur. A suivre