Il n'est personne qui n'ait sa propre idée de l'au-delà. Certains y réfléchissent plus que d'autres, bien entendu. Mais je parie que, pour la plupart, vous êtes comme moi : vous y pensez le moins souvent possible, et jamais comme à une réalité. Pourtant, si l'on vous poussait un peu, vous décririez l'image que vous vous en faites. Mais bien peu parviendraient à décrire la bonne. Moi, en tout cas, je n'ai pas pu. Permettez-moi de revenir un peu en arrière, afin que vous sachiez à qui vous avez affaire. Je n'avais aucune appartenance religieuse en particulier. Je m'étais intéressée à un certain nombre de théologies d'un point de vue purement intellectuel. S'il y a effectivement plusieurs demeures dans la maison du Père, je pouvais en décrire nombre des pièces (comme dans une version céleste de ces hôtels de vacances tape-à-l'œil qui possèdent une salle de bains Beethoven, une suite Schubert, et un bar Liberace). Je n'aurais pas été surprise de traverser un hall fraîchement peint de blanc, au fond duquel j'aurais distingué une lumière brillante qui m'aurait aspirée avec une force irrésistible. Un conclave de moines tibétains défunts prêts à m'entraîner durant quarante-neuf jours dans les méandres du Livre des Morts avant de m'expédier dans ma prochaine incarnation ne m'aurait guère procuré plus d'une seconde de surprise. Ne rien trouver du tout ne m'aurait causé aucun choc. (D'ailleurs, comment aurait-ce été possible ? Qui est-ce qui aurait été choqué?) J'avais médité sur l'idée d'un Jugement dernier, la rejeter en bloc — mouton bêlant d'un air suffisant devant des chèvres dégoûtées. Cependant, si je m'étais trouvée nez à nez avec saint Pierre, j'aurais été prête à faire copain-copain avec l'hôte du Ciel. Un Ciel de carte postale, à mon idée. Je ne me serais jamais, au grand jamais, attendue à ça. Morte. J'étais absolument morte. Comment je les avais ? Lorsqu'une femme a quitté son enveloppe chamelle, elle le sait. Faites-moi confiance. Où étais-je ? Pas dans un vestibule blanc. Il n'y avait là ni saint resplendissant, ni moine ratatiné, ni diablotin à fourche. Je ne parvenais pas du tout à reconnaître les lieux. Je ne savais pas où j étais, mais j'étais tout bonnement en train de faire la queue. Faire la queue, vous imaginez ! J'aurais pu faire ça durant ma vie. J'avais fait ça dans ma vie. Ça m'avait rendue folle de faire la queue à la banque derrière dix autres personnes, pliée en deux, le chéquier sur les genoux, à essayer de remplir la feuille de dépôt en indiquant le numéro et le montant de chaque chèque. En permanence, je surveillais les mouvements de la queue et, lorsqu'elle s'avançait, je rassemblais frénétiquement mes chèques à moitié rédigés et je marchais en canard, en essayant d'empêcher mes papiers de voler partout dans, la banque. Je me livrais à cet exercice qui me sciait les cuisses pour éviter d'attendre bêtement dans la file pendant une demi-heure tout en ruminant que je perdais mon temps. Mais une femme avertie n'en vaut pas toujours deux. Si j'avais dix chèques à remplir, la queue progressait à la vitesse de l'éclair. Quand j'arrivais au guichet, ils n'étaient ni signés, ni numérotés, et l'employé me maudissait silencieusement de retenir les autres clients. A suivre