Mon Dieu! Le métier d´artiste est aussi incertain et aléatoire que celui du paysan qui prie tous les jours en regardant le ciel: il voudrait qu´il pleuve avant les labours, que la pluie cesse afin qu´il ait le temps de retourner sa terre, et qu´il pleuve juste assez longtemps afin que les graines germent sans pourrir et que la tige s´élance vers le ciel, verte comme l´espérance. Ensuite quand les graines seront mûres, il ne cessera de prier afin que le ciel retienne pluie ou grêlons, jusqu´à la moisson. Après, le ciel pourra faire ce qu´il veut! Si l´artiste n´attend rien du ciel, par contre il espère beaucoup de l´indulgence et de l´attention du public tout comme il sollicite l´attention et la générosité de l´administration qui délivre chèques et autorisations... Après cela, seul le talent de l´artiste décidera s´il survivra longtemps dans la mémoire collective, ou s´il doit demeurer enfermé dans la poussière des bibliothèques ou des filmothèques, à la merci de quelques spécialistes qui finiront par le déterrer un jour, pour commémorer un événement ou tout simplement pour soumettre son oeuvre à une lecture nouvelle, à la lumière d´un jour nouveau. La récente célébration du 23e anniversaire de la disparition du grand homme de théâtre qu´était Mahieddine Bachtarzi pousse à quelques réflexions. Doit-on, d´un artiste, célébrer la naissance ou la disparition? Doit-on célébrer les lieux, la famille, le milieu où a éclos cet enfant prodige qui va pendant des années amuser et donner à réfléchir à un public qui ne demande qu´à briser la monotonie quotidienne ou à venir se voir évoluer sur une scène avec d´autres costumes, d´autres mots que les siens? Il ne reconnaît que les gestes et les intonations que lui renvoie ce miroir. Doit-on célébrer (avec tristesse) la disparition de cette étoile qui a brillé longtemps dans un firmament où les astres étaient rares? Ne doit-on pas célébrer autrement un valeureux artiste, pour peu qu´il ait une réelle valeur artistique en refaisant jouer ses pièces ou en rééditant ses oeuvres? La manière d´immortaliser l´artiste et le message qu´il a délivré à la société, n´est-elle pas de faire étudier ses oeuvres dans les écoles? L´école française donne un exemple éloquent en la matière: Molière, Corneille, Racine et bien d´autres sont des familiers des manuels scolaires et il n´est pas un élève qui n´ait pas dans sa tête une tirade célèbre d´un auteur connu et reconnu pour savoir choisir les mots qu´il emploie pour faire le portrait d´inoubliables personnages. C´est là la vraie reconnaissance de l´artiste. Toutes les autres manifestations ne sont que subterfuges pour faire oublier le désert culturel. Et puis, célébrer un énième anniversaire d´un artiste, fût-il immense, talentueux, unique, resplendissant, n´est-il pas discriminatoire envers les autres artistes qui sont morts oubliés ou qui continuent à subir des formes de censure de l´administration? Le talent d´un artiste n´est-il pas de créer des personnages qui lui survivent jusqu´à devenir des stéréotypes? Le débat est infini et peut mener loin sur les diverses facettes d´un artiste et de son engagement vis-à-vis de la société qui l´a produit. L´Entv avait produit dans les années 80, deux magnifiques portraits de ces deux artistes qui ont fait le théâtre algérien: Rachid Ksentini de Mohamed Lebcir et Mahieddine Bachtarzi de Mohamed Chérif Begga. Ces deux documentaires peuvent donner une idée des itinéraires, ô combien différents de deux hommes de valeur. Et, à l´époque d´Internet, le public peut apprécier l´importance de l´apport de ces deux créateurs qui ont fait, chacun à sa manière, le théâtre.