Résumé de la 2e partie - Je n'allais pas gaspiller mon temps à chercher comment j'étais morte. Quand on est morte, on est morte. Mais non — aussi peu rationnels qu'aient été les autres voyageurs, ils n'auraient pas pris le risque de manquer leur avion pour le plaisir de m'expédier dans l'autre mpnde. Même pour un siège à côté du hublot et un déjeuner à base de poisson. Non, cela les aurait enchantés, mais ils ne m'avaient pas liquidée, puis jetée sur le transbordeur de bagages à destination de l'éternité. De toute façon, ça ne servait à rien de s'en inquiéter maintenant. Je me fichais de savoir comment j'étais morte. Tout ce que je voulais, c'était m'échap-per de cette sacrée queue. Des queues, toujors des queues. Une queue : le parfait exemple de l'immobilité en mouvement. L'aéroport, c'est dur, d'accord. Mais ce n'est rien, comparé au vrai purgatoire que sont les autoroutes de Californie. Combien d'heures ai-je passées à faire la queue rien que pour arriver sur l'autoroute, coincée derrière une voiture coincée derrière un bus coincé derrière un camion, attendant que le feu vire au vert et laisse passer un véhicule sur la voie daccès ? Quantité de gens, assez pour repeupler l'Albanie, empruntaient mon autoroute sans aucune nécessité ! Ils n'allaient pas tous travailler. Pourquoi ceux qui n'appartenaient pas à la catégorie des 9 heures — 17 heures ne montraient-ils pas un peu de charité en restant chez eux à l'heure de pointe ? Ils disposaient de tout le reste de la journée pour baguenauder sur la route. C'était toujours moche de trouver l'autoroute embouteillée, mais j'avais fini par m'y habituer. J'avais appris à m'insinuer de force dans la circulation. Cela devenait une espèce de sport que de surveiller la file des voitures, et de clas-ser les conducteurs selon leur lenteur à réagir, selon leur distance par rapport à la bagnole qui les précédait, selon les chromes et les vernis de leur voiture et leur volonté désespérée de les préserver. Avant qu'un lambin ait eu le temps d'actionner son klaxon, je me glissais devant lui, avec dix centimètres de marge, debout sur les freins. J'avais entendu assez de basses injures, vu assez de poings brandis et de doigts dressés, pour savoir ce que ces voyous auraient aimé me faire. Avais-je trouvé la mort en roulant vers, l'aéroport ? Sur ces autoroutes-là, l'heure de pointe commence dès avant l'aurore. Avais-je jugé de travers, et fait une queue-de-poisson à un camion dénué de frein, ou à un cinglé armé d'un fusil ? Mais non. S'il y a une chose sur laquelle vous pouvez compter à l'heure de pointe, c'est que personne ne va assez vite pour vous percuter par l'arrière. Et les tueurs d'autoroute ne tirent pas s'ils doivent rester bloqués dans la circulation à côté de votre cadavre. Non, évidemment, mon cortège funéraire n'avait rien à voir avec une échappée en première sur la bretelle de dégagement en direction du Jugement dernier. Mais pourquoi cette question me tourmentait-elle ? A suivre