Périple L?histoire est longue. La famille résidait, avec 33 autres, au 14, rue Bab El-Oued, dans un immeuble déserté par ses occupants après le séisme de 1989. Elles ont été évacuées ailleurs. «J?habitais avec ma belle-mère à Scala, dans un F2, raconte Habiba la mère de famille. La promiscuité et les interminables problèmes ont rendu notre vie impossible. Nous sommes alors partis pour habiter dans cet immeuble délabré. Nous n?avions pas où aller, la location est chère. Vous savez, le logement c?est la bête noire des Algériens.» C?est ici, au creux de cette bâtisse coloniale fissurée, lézardée que sont nés les sept enfants. Abdallah (4 ans), Khadidja (7), Wahiba (9), Hind (10), Fatiha (14), Mohamed (18) et El Aârem (19). Cinq d?entre eux sont scolarisés. Les autorités locales ont, depuis deux ans, tout fait pour les faire sortir de cet édifice. «Ils ont voulu nous mettre dans les décharges à travers la wilaya d?Alger. Imaginez un seul instant. C?est fou !» raconte un voisin de la famille qui vit, lui, dans une autre baraque. Habiba et son mari se sont rendus à plusieurs reprises à l?APC de La Casbah pour sensibiliser les responsables sur leur cas. «Nous avons eu droit à des promesses qui n?ont jamais été tenues. J?accepterais de vivre en haut d?une montagne, dans une grotte, mais pas dans cette misérable tente. Le ramadan approche et l?hiver aussi, je tremble déjà à cette idée. Toute la tente sera mouillée et nous aussi. Oh mon Dieu !» Sa fille aînée, sourde-muette, est allée chez sa grand-mère pour y passer quelques jours. «Elle a des insomnies et appréhende qu?un rat ne vienne la mordre en plein sommeil.» Khadidja, la cadette des filles, a été mordue à deux reprises par un rat. «Je dors avec ma mère. J?ai peur. On les entend et on les voit. Ils rentrent de partout, rien ne peut les arrêter. Nous n?avons pas de murs, que des chiffons qu?ils peuvent ronger facilement», confie la petite victime au corps chétif et aux yeux fatigués. Le cartable accroché à son dos semble trop lourd pour ses frêles épaules. «Maman, donne-moi les 35 DA que la maîtresse m?a demandés. Depuis deux jours, tu me renvoies. Que vais-je lui dire ?» N?ayant pas la somme, les deux parents tentent de convaincre leur fille d?aller en classe. «Va ma petite. Mais je n?en ai pas. Demain, dis lui demain, maman te les donnera» lui chuchote Habiba. «Mais elle n'acceptera pas, je suis la seule qui n?ai pas encore payé, j?ai honte», réplique Khadidja. Mohamed, le père intervient alors : «Ma chérie, demain papa te les donnera. Dis-lui que ce sera pour demain. Ne t?en fais pas.» Visiblement rassurée, la petite quitte la tente, un sourire timide accroché à ses lèvres. «D?accord. Mais ça sera la dernière fois. Demain l?argent doit être prêt», lance-t-elle naïvement.