Près de 6 000 places pédagogiques ont été ouvertes pour les enfants autistes dans les centres spécialisés au niveau national. Trois ont été ouverts récemment dont un à Alger, un à Tlemcen et un autre à Bouira. Ces nouveaux centres ont permis de prendre en charge les enfants se trouvant dans les listes d'attente du ministère de la Solidarité qui en comptaient 9 000. L'ouverture de ces nouvelles structures devrait assurer une meilleure intégration des enfants atteints d'handicaps mentaux légers dans le milieu scolaire ordinaire, les insérer dans la société et les faire participer au développement social. C'est en tout cas le besoin exprimé, depuis très longtemps, par les parents ayant un enfant autiste. Une doléance qui peine à se concrétiser à l'heure actuelle faute de structures d'accueil, d'accompagnement psychique de ces enfants et des parents pour mieux s'impliquer dans cette lourde tâche. Manque de centres spécialisés Chiffres - 400 000 personnes seraient atteintes d'autisme en Algérie d'où l'intérêt d'intensifier les actions de sensibilisation de l'opinion sur ce trouble du comportement. «Il y a un taux de trois à quatre garçons pour une fille qui sont atteints, selon le consensus international», explique docteur Malika Mahi, détentrice d'un doctorat en option autisme. Pour la seule wilaya d'Alger, on compte pas moins de 1 400 enfants aux besoins spécifiques, En attente d'une prise en charge adaptée, selon les chiffres fournis par un membre de l'APW d'Alger. Mohamed Tahar Dilmi reste, toutefois, optimiste après l'ouverture de la cité de l'enfance de Ben Aknoun qui a organisé une cession de formation au profit des psychiatres, des médecins, des infirmiers et des orthophonistes. La formation en question devrait, sensiblement, améliorer les connaissances techniques de ce personnel en vue d'une meilleure prise en charge des enfants autistes de la cité. Il faut dire que la nécessité de constituer des équipes pluridisciplinaires avec une stratégie efficiente d'accompagnement de cette catégorie de malades est restée pendant longtemps invisible. La difficulté pour cette catégorie est d'apprendre à s'adapter socialement et émotionnellement. Il s'agit d'un apprentissage quotidien qui doit être minutieusement et rationnellement géré, nécessitant un suivi pédagogique adapté à leurs difficultés singulières. Fort heureusement, la science a beaucoup évolué dans ce domaine puisqu'on ne considère plus l'autisme comme une maladie. «En réalité, c'est un trouble de la jonction entre les neurones affectant le fonctionnement du cerveau à divers niveaux», explique Dr Mahi. «La mémoire de l'environnement et du langage est aussi affectée causant des handicaps chez l'enfant», assure la spécialiste selon laquelle l'autisme est certes un handicap. Mais cela n'exclut pas «la nécessité de dépister chez ces enfants leurs points forts», ajoute-t-elle. La problématique des troubles mentaux non diagnostiqués, associés à l'autisme dans le cadre du programme de prise en charge de l'enfant autiste aboutit toujours à l'absence de développement mental, avertit de son côté l'orthophoniste khaled Brahimi. Une situation qui ne manque pas de se répercuter négativement sur l'apprentissage oral de la langue, l'interaction sociale et le développement du langage chez ces enfants. Mais la quête de centres spécialisés pour autistes qui reste très insuffisants par rapport au nombre de malades à l'échelle nationale vient compliquer davantage la tâche des parents et des associations qui ne peuvent assurer à elles seules la prise en charge de cette frange de la société. Aujourd'hui, le mouvement associatif qui mène des actions appréciables et méritoires dans ce domaine en matière d'information et de sensibilisation a réellement besoin d'être associé et accompagné. Car la conjugaison des efforts de tous s'avère plus que nécessaire, notamment le secteur de la santé et celui de la solidarité, à travers l'intensification du diagnostic précoce et la création de nouveaux centres spécialisés. Le ministre de la Santé a annoncé dans ce cadre le lancement de 17 services de pédopsychiatrie en 2017 pour améliorer le suivi et la prise en charge des enfants autistes à travers le pays. Boudiaf a affirmé que 17 services de pédopsychiatrie seront opérationnels en 2017, ajoutant que certains de ces services ayant cumulé de longues années d'expérience peuvent d'ores et déjà être érigés en centres de référence et bénéficieront du renforcement nécessaire. Mortalité plus élevée Selon une étude publiée en 2017 dans une revue spécialisée, les autistes meurent trois fois plus de blessures accidentelles ou volontaires que le reste de la population. Les chercheurs ont identifié 1 367 personnes (1 043 hommes et 324 femmes) qui avaient été diagnostiquées du trouble du spectre autistique. L'âge moyen au moment du décès était de 36 ans, soit bien plus jeune que le reste de la population générale, précisent les auteurs. Parmi les personnes souffrant d'autisme, 28% sont décédées de blessures, le plus souvent par suffocation ou noyade. Alors que des études précédentes montraient déjà un taux de mortalité nettement plus élevé parmi l'ensemble des personnes autistes, cette étude met en évidence le taux élevé des morts accidentelles qui avaient été sous-estimées dans ce groupe de la population. Malgré cette nette augmentation du nombre annuel de décès parmi les autistes mise en évidence dans ce dernier rapport, la mortalité chez ces personnes pourrait encore être très fortement ignorée dans les statistiques, surtout quand elle résulte d'homicide, de suicide ou d'agression, estiment les auteurs de cette étude. «Notre analyse révèle que les enfants autistes ont 160 fois plus de risques de noyade que le reste de la population pédiatrique», indique le Dr Li qui souligne l'importance de faire apprendre à nager à ces enfants très tôt. Il explique que ces enfants sont fortement attirés par l'eau, un élément qui les rassure. «Une fois que les enfants sont diagnostiqués du trouble du spectre autistique, généralement entre deux et trois ans, les pédiatres et les parents devraient immédiatement les inscrire dans des cours de natation avant toute autre thérapie, car être capable de nager est impératif à la survie des autistes », insiste le Dr Li. 9 centres psychopédagogiques à Alger l Neuf centres psychopédagogiques sur 22 établissements spécialisés relevant de la direction de l'action sociale de la wilaya d'Alger accueillent plus de 900 enfants handicapés mentaux. Ces centres sont répartis sur plusieurs communes de la capitale, dont Bologhine, Douéra, Bachdjerrah, El-Madania, El-Harrach, Aïn Taya, Birkhadem et Rouïba. Ces établissements offraient aux concernés une prise en charge adaptée à leur handicap en vue de favoriser leur intégration sociale et scolaire. 36 classes sont réservées aux enfants souffrant de handicap mental et 34 autres à ceux souffrant de troubles du langage. Plus de 1 000 enfants sont sur la liste d'attente. Ils seront pris en charge progressivement en attendant l'ouverture de nouveaux centres spécialisés. La wilaya d'Alger compte trois écoles spécialisées pour enfants souffrant de déficience auditive à Alger-Centre, Baraki et Draria. 400 enfants y sont pris en charge. La capitale compte aussi une école spécialisée pour enfants souffrant de déficience visuelle. Elle se trouve à El-Achour et prend en charge 200 enfants. Plusieurs projets sont en cours dont celui de la ferme pédagogique au centre de Sidi Moussa en partenariat avec cinq associations au titre des projets du ministère de la Solidarité nationale pour la prise en charge des personnes handicapées. Des classes intégrées Constat L'expérience des classes intégrées pour les enfants autistes, menée par certains établissements scolaires à travers plusieurs wilayas du pays ont donné des résultats satisfaisants. C'est le cas dans la wilaya de Batna où le directeur local de l'Action sociale (DAS) parle d'une «réussite notable». Pour lui, «les résultats de cette expérience sont très encourageants et la placent actuellement parmi les meilleurs wilayas de l'est du pays». Selon ce responsable, cette expérience qui a profité, dans une première étape à 41 enfants, sera, au titre de la prochaine rentrée, élargie à d'autres régions de la wilaya parmi lesquelles Merouana et Arris. Une commission de la DAS, constituée de spécialistes, a été dans ce cadre missionnée pour diagnostiquer et répertorier les enfants autistes selon le degré de cette pathologie neuro-développementale, puis de les orienter à partir de ces éléments vers des classes intégrées ou bien vers les centres spécialisés. La wilaya de Batna dispose actuellement de 21 classes intégrées dans des établissements scolaires pour un total de 224 élèves aux besoins spécifiques. L'expérience de la wilaya de Relizane n'est pas très loin de celle de Batna. Les autorités locales ont mis en place, durant l'année scolaire 2016-2017, 19 classes spéciales pour la scolarisation des enfants atteints d'autisme. Ces classes regroupant un total de 190 enfants ont été ouvertes en coordination avec la direction de l'Education de la wilaya. Ces enfants aux besoins spécifiques âgés entre 8 et 10 ans sont scolarisés dans des classes spéciales au niveau d'écoles primaires dans l'espoir de pouvoir intégrer plus tard des classes normales. Dans la wilaya d'Aïn Témouchent, une école d'adaptation des enfants autistes, première du genre au niveau de la wilaya, a été ouverte cette année. Réalisé à hai «Akid Othmane» à la nouvelle ville d'Ain Témouchent sur initiative de l'association de prise en charge des enfants autistes, cet établissement a bénéficié d'une subvention de 2 millions DA du ministère de la Solidarité nationale, ainsi que 1,2 million DA de la wilaya, selon les explications fournies par les responsables du secteur de l'action sociale. La capacité d'accueil de cette école est de 54 enfants encadrés par cinq psychologues, deux orthophonistes, deux éducateurs et un encadrement administratif. A Tissemsilt, un centre de prise en charge des enfants autistes, le premier du genre, ouvrira bientôt ses portes. Ce centre est réalisé avec le concours de la direction de l'action sociale et de solidarité. Il disposera d'un staff pluridisciplinaire composé de psychologues, pédagogues, sociologues, orthophonistes et généralistes. Il s'occupera des enfants autistes âgés entre 3 et 14 ans. Cette structure devra accueillir, dans une première étape, une vingtaine d'enfants issus de familles nécessiteuses pour bénéficier de séances d'adaptation psychologique et sociale et de profiter des activités culturelles et de loisirs qui leur sont proposées. L'ouverture de la cité de l'enfance de Ben Aknoun, placée par la wilaya d'Alger sous la tutelle de la direction de l'action sociale, a permis, quant à elle, la prise en charge de plus de 150 enfants autistes encadrés par plus de 40 spécialistes dans les troubles d'autisme, des psychologues et des orthophonistes relevant des centres spécialisés. Le centre est doté d'équipements adaptés à la nature de la maladie. Responsabilité partagée Enjeu - La prise en charge des autistes est une responsabilité collective, partagée par les spécialistes et les parents des enfants présentant un autisme. «Il n'y a pas une communion entre les spécialistes et les parents d'autistes», déplore le Pr. Abderrahmane Saidi préconisant d'opter pour un travail organisé et continu entre les deux parties et une évaluation globale et périodique des méthodes de traitement sur plusieurs années. Le spécialiste exerçant au sein d'un hôpital parisien assure par ailleurs que le traitement des symptômes de l'autisme et sa prise en charge n'ont aucune incidence sur l'avenir du malade concernant son développement mental. Le Pr Saïdi insiste, dans ce cadre, sur le diagnostic précoce et précis, eu égard à la similitude des signes de l'autisme avec d'autres maladies. Elle n'a en outre toujours pas de traitement spécifique à ce jour. «Aujourd'hui, il n'existe que des traitements agissant sur l'agitation et l'agressivité, qui sont des symptômes secondaires de l'autisme, mais nous n'avons rien pour traiter le principal», souligne le Dr Eric Lemonnier, psychiatre. Le Pr. Saidi a, à ce propos, estimé nécessaire de faire appel aux psychologues, spécialistes psychomoteurs, orthophonistes ainsi que les parents d'enfants atteints d'autisme, dans le cadre d'un travail collectif et la mise au point d'un programme de prise en charge propre à chaque cas en fonction des spécificités mentales et l'état individuel de chacun. Car si aucun traitement curatif de l'autisme n'existe à l'heure actuelle, il est en néanmoins possible de développer les capacités de l'enfant, diminuer ses symptômes autistiques et favoriser son intégration au sein de la société si les parents s y impliquent. Ces derniers ont néanmoins besoin d'être accompagnés pour avoir tous les outils nécessaires afin d'aider leurs enfants à progresser et devenir plus autonomes. Dans ce sens, le Pr Saïdi rappelle que la prise en charge de l'enfant autiste doit être individualisée, précoce et pluri-disciplinaire pour s'attendre à de meilleurs résultats. Le challenge est donc de taille pour arriver à faire «adapter un enfant autiste à son environnement et non le pousser à s'adapter à celui des autres», estime le spécialiste, attirant l'intention des parents sur l'importance «de comprendre que cet enfant évolue dans un milieu propre à lui et interagit avec les sens n'incluant pas d'une manière idéale et ordinaire ce qui l'entoure». On comprend dès lors mieux le comportement perturbé et parfois violent de l'autiste envers lui-même ou envers son entourage. Pour mieux le maîtriser, les praticiens proposent la fusion sensorielle et motrice ainsi que le cycle de traitement pour faire évoluer l'enfant autiste en vue de l'assimilation des voix, des images et des mouvements répétés. Il s'agit de commencer par une tentative de comprendre et de cerner l'environnement de l'enfant en l'adaptant à ses sens. Mais aussi en se concentrant sur ce qu'il a acquis sans faire pression sur lui pour l'obliger à changer son comportement. «Etant donné que l'interaction avec le monde extérieur est interrompue du fait d'un trouble de développement mental et psychique de l'enfant autiste, ce dernier prend plus de temps pour comprendre et assimiler les informations extérieures et réagir de manière perturbée», relève le même spécialiste.