Réaction n L'Espagne attendait ce mercredi une intervention du gouvernement en Catalogne après que le roi Felipe VI a déclaré que l'Etat devait assurer l'ordre constitutionnel dans cette région dont les dirigeants «prétendent proclamer illégalement l'indépendance». Alors que des centaines de milliers de Catalans manifestaient contre les violences policières de dimanche, quand le gouvernement espagnol a tenté d'empêcher un référendum d'autodétermination interdit par la justice, le roi a dénoncé le gouvernement régional dans un discours d'une fermeté sans précédent. Le souverain, jusqu'ici très mesuré dans la plus grave crise que traverse l'Espagne depuis 40 ans, a accusé le gouvernement régional catalan de Carles Puigdemont d'avoir bafoué "de façon répétée (...) et délibérée" la constitution et de "mettre en danger la stabilité" de la Catalogne et de toute l'Espagne. Et en martelant qu'il est de "la responsabilité des pouvoirs légitimes de l'Etat d'assurer l'ordre constitutionnel", son discours ouvre la voie à de nouvelles mesures du gouvernement de Mariano Rajoy contre les dirigeants indépendantistes. Celui-ci, qui n'avait pas réagi au discours du roi hier soir, pourrait invoquer l'article 155 de la constitution, jamais encore utilisé, qui permet de prendre le contrôle des institutions d'une région qui "porte gravement atteinte à l'intérêt général de l'Etat". Le procureur général d'Espagne n'avait pas exclu non plus, dans une interview avant le référendum, une arrestation du président Puigdemont. Mais ce dernier peut aussi précipiter les choses. En publiant les résultats du référendum au journal officiel, il ouvrirait un délai de 48 heures pour la proclamation unilatérale d'indépendance par le parlement régional. Il a demandé sans succès une médiation de l'Union européenne dans son conflit avec Madrid mais le parlement européen devait débattre en urgence de cette crise ce mercredi. Jusqu'à présent, M. Puigdemont et son équipe ont réussi à résister à toutes les pressions du gouvernement de Madrid, ignorant les décisions de justice et préparant en secret le référendum que celui-ci avait juré d'empêcher. Les images des interventions brutales de policiers casqués pour fermer des bureaux de vote, faisant 92 blessés, ont fait le tour de la planète et indigné les Catalans de tous bords. Le gouvernement catalan "a l'initiative, et le gouvernemouv2ent central court derrière en essayant maladroitement de boucher les trous", a estimé Antonio Torres del Moral, professeur de droit constitutionnel à l'Université d'enseignement à distance (UNED). D'après les résultats provisoires, le oui à l'indépendance l'a emporté avec de 90% des 2,26 millions de votants dans ce scrutin sans liste électorale et sans observateurs. Conséquences insoupçonnées La Catalogne est profondément divisée et le dernier sondage des autorités catalanes, publié en juillet, montrait que les adversaires de l'indépendance restaient plus nombreux que ses partisans (49,4% contre 41,1%). Mais les violences policières ont fait bouger l'opinion. Le discours du roi aussi a été mal reçu en Catalogne. "C'est une honte, a réagi Domingo Gutierrez, un camionneur de 61 ans. S'il était ici, il saurait ce que pense la société catalane". "Je ne suis pas indépendantiste, je ne l'ai jamais été, mes parents sont andalous. Mais depuis deux semaines je le suis plus que personne à cause de gens comme ça qui ne comprennent rien". Poursuites judiciaires contre le chef de la police catalane La justice espagnole "a convoqué en vue de leur inculpation" le chef de la police catalane ainsi qu'une de ses subalternes et deux dirigeants d'associations indépendantistes, dans le cadre d'une "enquête pour sédition", a annoncé ce mercredi un porte-parole du tribunal. L'enquête porte sur des faits survenus le 20 septembre, lorsque l'arrestation de 14 hauts responsables de l'exécutif séparatiste catalan avait provoqué d'importantes manifestations contre la Garde civile à Barcelone. L'annonce des arrestations avait provoqué une manifestation de plusieurs milliers d'indépendantistes, encouragés par l'ANC et Omnium, devant le siège du département d'Economie de l'exécutif catalan à Barcelone où avaient lieu des perquisitions. Les gardes civils n'avaient pas pu sortir du bâtiment jusqu'au petit matin et les manifestants s'en étaient pris à leurs voitures. Les Mossos d'Esquadra ont été accusés de ne pas être intervenus assez vite pour aider la Garde civile, ainsi que de ne pas avoir empêché l'ouverture des bureaux de vote lors du référendum d'autodétermination interdit dimanche, alors que la justice le leur avait ordonné. «Le roi ne comprend rien» Marta Domenech, indépendantiste de 28 ans, s'était arrêtée en pleine rue pour écouter le souverain parler. "Ca ou rien, c'est pareil. Il ne comprend rien", a-t-elle lâché. L'allocution de Felipe VI, en début de soirée, est venue ponctuer une journée de grève générale et de manifestations en Catalogne contre les violences policières de dimanche. "Dehors les forces d'occupation!", "Les rues seront toujours à nous!": criaient les manifestants en faisant des doigts d'honneur au passage des hélicoptères de police. Selon la police locale, les défilés dans la métropole catalane ont rassemblé près de 700.000 personnes. Le port de Barcelone a été paralysé, de même que son grand marché alimentaire de gros, des routes coupées par des piquets de grève, mais la grève n'a pas affecté le trafic aérien ni ferroviaire. Les chaines de montage d'automobiles et la plupart des banques ont cependant continué à fonctionner. La proclamation d'indépendance "à la fin de la semaine" Echéance - Le président de la Catalogne, le séparatiste Carles Puigdemont, a assuré, dans une interview diffusée ce mercredi, que son gouvernement s'apprêtait à déclarer l'indépendance de cette région de l'Espagne probablement «à la fin de la semaine». "Nous allons déclarer l'indépendance 48 heures après le décompte des résultats officiels" du référendum, a-t-il annoncé dans un entretien à la BBC, le premier diffusé depuis le vote. "Cela va probablement se terminer quand nous aurons récupéré les votes de l'étranger", a-t-il précisé, "donc nous agirons à la fin de la semaine, ou au début de la semaine prochaine". M. Puigdemont a déclaré qu'une réaction d'opposition de la part du gouvernement central constituerait "une nouvelle faute" qui s'ajouterait à "une longue liste d'erreurs". "Après chacune de ces erreurs, nous sommes sortis renforcés", a estimé le dirigeant séparatiste. "Pas seulement parce que le temps a passé, mais aussi parce que chaque semaine, à chaque erreur, nous obtenons plus de soutien de la société". Dimanche, à l'issue du scrutin, M. Puigdemont avait assuré que des "millions" de personnes s'étaient mobilisées pour participer au référendum d'autodétermination de la région, en dépit de son interdiction formelle. Avec cette consultation, les citoyens de Catalogne ont "le droit d'avoir un Etat indépendant qui prenne la forme d'une République", avait-il dit. Ce référendum n'était pourtant assorti d'aucune des garanties qui accompagnent les scrutins électoraux, l'Etat espagnol ayant visé toute l'infrastructure qui lui aurait permis de présenter des résultats crédibles. Aucune commission électorale n'a supervisé l'organisation, le recensement n'était pas transparent, le vote n'était pas secret, etc. L'Espagne - déjà exposée à l'indépendantisme d'une partie de la société basque au nord - vit depuis le début du mois de septembre sa pire crise politique depuis le coup d'Etat militaire avorté du 23 février 1981. Le 6 septembre, le Parlement catalan avait adopté une loi pour organiser ce référendum malgré son interdiction, arguant du fait que les indépendantistes le réclamaient depuis 2012. Dimanche soir, Mariano Rajoy avait, sans le nommer, désigné M. Puigdemont comme un des responsables des événements de la journée, estimant qu'il avait promu "la violation de la loi et la rupture du vivre-ensemble". "Ne cherchez pas d'autre coupables, il n'y en a pas", avait-il ajouté. M. Puigdemont et l'ensemble de l'exécutif catalan sont déjà visés par une enquête pénale pour "désobéissance, prévarication et détournement de fonds publics", en lien avec l'organisation du référendum. Débat au Parlement européen Les députés européens devaient débattre ce mercredi après-midi en urgence de la situation en Catalogne après le référendum d'autodétermination qui a plongé l'Espagne dans une grave crise politique. Ce débat à Strasbourg, prévu à 15H00 (13H00 GMT), comprendra une déclaration de la Commission européenne -- accusée d'être restée trop longtemps silencieuse face à la crise catalane -- et un tour de table des groupes politiques. Dès ce matin, plusieurs eurodéputés ont déjà largement abordé la crise catalane lors d'un autre débat, consacré à la préparation du prochain sommet européen les 19 et 20 octobre à Bruxelles. Cette crise, "bien plus que le Brexit, menace, peut mettre à mal l'esprit même de l'intégration européenne", a ainsi estimé le chef de file des Verts au Parlement. Plusieurs députés, écologistes ou d'extrême gauche, ont fustigé "la brutalité et les violences policières" en marge du scrutin dimanche, tandis que d'autres parlementaires réclamaient une médiation "internationale" avec "implication européenne". A l'inverse, un élu du parti Populaire de Mariano Rajoy a souligné que l'Espagne n'avait "pas besoin de tutelle" ni de "médiateur". "Si aujourd'hui vous laissez la Catalogne briser l'unité de l'Espagne, cela déclenchera un effet domino sur tout le continent. Au lieu d'une Europe de 27, nous aurons une non-Europe de mini-Etats", a-t-il ajouté. Fort soutien de l'Ecosse Le gouvernement écossais a appelé hier l'Union européenne ou les Nations unies à intervenir pour dénouer la crise entre Madrid et la Catalogne, dont les dirigeants menacent de déclarer l'indépendance après un référendum interdit émaillé de violences policières. "Le gouvernement écossais est très préoccupé par les événements de ces derniers jours en Catalogne", a déclaré la ministre écossaise des Affaires étrangères, Fiona Hyslop, devant le Parlement écossais. La position de Madrid, qui a déclaré anticonstitutionnel le référendum d'autodétermination dans cette région espagnole, et le droit du peuple catalan à s'exprimer sur son indépendance ne sont "pas irréconciliables", a poursuivi Mme Hyslop. "Mais cela nécessitera des mesures internationales, et c'est pourquoi je pense que les institutions européennes ou l'ONU doivent avoir la responsabilité d'essayer de résoudre" la crise. "Le gouvernement écossais espère qu'un dialogue permettra aux gouvernements espagnol et catalan de trouver une solution qui respecte l'Etat de droit, la démocratie, mais aussi le droit du peuple de Catalogne à décider de son avenir", a insisté Fiona Hyslop. Elle a aussi appelé Londres à muscler sa réaction pour "condamner explicitement le recours à la violence par la police espagnole". Les séparatistes catalans bénéficient d'un fort soutien en Ecosse, trois ans après une tentative avortée d'indépendance dans ce territoire britannique. 700 000 manifestants dans la rue Marchant, criant, chantant, des centaines de milliers de Catalans ont dénoncé hier à Barcelone les violences policières dimanche, avant de vivre le discours du roi d'Espagne comme une douche froide. Dans un bar, un grand silence s'est fait au moment de la diffusion du discours du roi Felipe VI, qui prenait la parole, 48 heures après le référendum d'autodétermination interdit organisé dans la région. Mais, évoquant seulement "la grande préoccupation" en Catalogne face à la conduite de ses dirigeants séparatistes, il n'a lancé aucun appel au dialogue. "C'est une véritable honte (...) Un roi, cela doit représenter un peuple, tous ses sujets, pas seulement une partie", lâchait Domingo Gutierrez, un camionneur de 61 ans. "Il n'a pas dit un mot sur les personnes blessées" par les policiers qui cherchaient à empêcher le référendum, ajoutait-il. "Je pensais qu'il demanderait que toutes les parties s'assoient pour parler, mais non", dit amèrement Gerard Mur, jeune journaliste de 25 ans au chômage. Toute la journée, indépendantistes ou non, jeunes et vieux, 700.000 Catalans avaient participé ensemble à toute une série de manifestations à Barcelone selon la police municipale, indignés par les violences policières ayant marqué dimanche le référendum interdit. "C'est une manifestation de Catalans pour la liberté et pour la dignité", dit Georgina Asin, professeure de communication de 35 ans, dans l'immense foule qui vient de chanter avec émotion l'hymne catalan, place de l'Université. "C'est un sentiment très fort d'être ensemble comme ça, alors que je ne suis pas indépendantiste et mes parents non plus".