Tout le monde n?a pas la chance de rompre le jeûne chez soi en ce mois censé être celui de chaleureuses retrouvailles familiales. Aux sans-abri, des femmes et des hommes bénévoles viennent tenir compagnie. Ils consacrent leur ramadan à préparer des repas et à servir certains parmi leurs semblables qui n?ont pas eu leur chance. Un peu plus loin, à la rue Mulhouse, devant le siège d?Air Algérie, au comité central du Croissant-Rouge algérien, règne une atmosphère particulière. De jeunes bénévoles sont là depuis 9h 30. Ils préparent la Meïda du ramadan pour les démunis et les nécessiteux de la capitale. Un bruit assourdissant règne. Le claquement de la vaisselle, des bols, le cliquetis des cuillères et des fourchettes. Les voix s?élèvent pour pousser les bénévoles à se dépêcher. «Il est déjà 17h 30. Accélérez !» Un groupe prépare la salade dans une grande marmite, d?autres lavent la vaisselle dans de grands lavabos. D?autres cuisinent. Des hommes et des femmes oublient leurs différences et le combat des sexes et se partagent équitablement les tâches. Des hommes lavent le sol et les assiettes, d?autres cuisinent. Rare image dans une société masculine. Des rires fusent ici, des sourires, des confidences sont échangées çà et là. Des expressions de bonheur sont partagées et une ambiance familiale règne. Ici, tous les hommes sont les mêmes. Point de hiérarchie, de classe, de différence. Dehors, les premiers démunis arrivés attendent, une longue chaîne de frimousses froissées et intimidées, de corps chétifs et noircis défile. Au seuil de la porte, ils attendent impatiemment que les bénévoles terminent la préparation des tables pour prendre place et apaiser un estomac qui hurle sa faim. Une image choquante qui rappelle étrangement l?Algérie d?avant l?indépendance. Parfois, les bénévoles haussent le ton. Leurs voix s?élèvent du fond de la salle. «Ramène un plat ici. Il manque un morceau de pain ici. Reviens Rachid, accélère?» Dans un brouhaha assourdisssant, les discussions deviennent inaudibles. L?enthousiasme, le dévouement et le souci de bien faire de ces bénévoles semblent parfois les dépasser. Ce qui est visiblement vécu comme une humiliation par les convives d?un soir qui laissent échapper leur indignation: «C?est comme ça tous les soirs, on nous traite comme du bétail !» «Pourquoi hurlent-ils comme ça ?» «Nous sommes un fardeau, une grande charge, c?est clair.»