Résumé de la 6e partie Installé à Béjaïa, Abû Madyan se distingue par son enseignement et les nombreux prodiges qu'il réalise. Si les miracles sont recherchés par le peuple, qui y voit une manifestation de la puissance de Dieu et de la confiance qu'il a mise dans son saint, pour les juristes, les foqahas, formés à l'école rationaliste, c'est une déviation dangereuse, voire une hérésie. C'est pourquoi Abu Madyan Chou?ayb est mal vu par les clercs. Il faut dire aussi qu'il ne les pas ménagés dans ses cours et ses prêches. Certains vont même à Marrakech et le dénoncent au calife almohade Abu Yusef Ya'qub. «Cet homme, lui disent-ils, est un hérétique, il ne cesse d'augmenter le nombre de ses disciples ! Il finira par provoquer des émeutes !» Le souverain, qui s?est informé à propos du saint leur répond : «Le peuple lui voue une grande admiration. C'est en l'arrêtant qu'on risque de provoquer des émeutes !» Mais les ennemis du saint ne désarment pas. «Majesté, disent-ils, cet homme constitue un danger pour la dynastie ! Ne va-t-il pas bientôt se proclamer le Mahdi attendu et demander à prendre la direction du royaume ?» Beaucoup voient déjà en lui un réformateur... Le Mahdi est, dans la doctrine élaborée par Ibn Tumert, le fondateur de la dynastie almohade, le guide qui doit apparaître à la fin des temps et faire triompher la religion. Le sultan, cette fois-ci prend au sérieux les menaces évoquées par les foqahas. Il ne va pas laisser cet andalou détruire l'empire que lui et ses prédécesseurs ont eu tant de mal à édifier ! «Il faut le mettre hors d'état de nuire, disent les foqahas. ? Je ne veux pas qu'on lui fasse du mal, dit le souverain. Je vais le faire venir ici et je le ferai surveiller étroitement.» Quelques temps après, Abu Yusef Ya'qub ordonne un détachement de l'armée de Béjaïa d'escorter Abu Madyan jusqu'à Marrakech. Il ordonne qu'on le traite avec égards et qu'on veille à son confort. En quittant Béjaïa, le saint déclare à ses amis : «Il m'appelle auprès de lui, mais jamais je ne le verrai et jamais il ne me verra !» Il part donc pour Marrakech escorté par un détachement de soldats. Le saint, qui a soixante-quatorze ans, est bien fatigué. Le voyage, très long, est pénible et il souffre beaucoup. Quand la caravane arrive au lieu-dit Aïn Takbalet, non loin de Tlemcen, le cheikh est à l?article de la mort. Il a la force de se dresser sur sa litière et de regarder, de loin, le fort d'El-Eubbad. «Quel endroit paisible et propice à la méditation comme je voudrais y reposer !» Il regarde les gens qui l'entourent et prononce cette dernière formule : «Dieu est la Vérité ?» Et il rend son dernier soupir. C'était en 1196 ou 1197. Abû Madyan sera enterré à el Eubbad. Les Tlemcéniens allaient en faire le patron de leur ville. Une ville que le saint n'avait pas eu l'occasion de visiter de son vivant.