Evasion La jeunesse algérienne trouve dans ce genre musical un exutoire à sa frustration sociale et à son malaise quotidien. Le raï a été propulsé de façon spectaculaire hors des cabarets, il s?est propagé, çà et là, dans toutes les couches sociales. Toute personne, quelle que soit sa culture, s?est éprise du raï qui se trouve en mesure de concurrencer tant la musique occidentale que la musique orientale. La jeunesse algérienne, perdue dans ses incertitudes, sans le moindre repère, fragilisée par un système politique qui l?ignore et ne tient aucunement compte de ses rêves et de ses aspirations, trouve dans cette musique un véritable exutoire à sa frustration sociale. Elle y trouve aussi ses repères. Le raï va servir de rempart à l?intégrisme religieux, au conservatisme social, au traditionalisme culturel et à la rigidité politique. Pendant la décennie noire, à une époque à laquelle le terrorisme battait son plein, les chanteurs et chanteuses de raï, chebs et chebate, proliféraient à une allure hallucinante, ahurissante, allant jusqu?à défier toute forme de répression et de discours religieux. Le raï revêt dorénavant ce qualificatif de musique rebelle qui, tenace, a pu résister à la menace terroriste. Si la comparaison s?impose, le raï ressemble, toute proportion gardée, au rock n?roll qui, aux Etats-Unis, est considéré comme une musique réfractaire qui a bouleversé les m?urs. Comme le rock n?roll, le raï a été longtemps marginalisé et, jusqu?à présent, il est associé à l?alcool, au sexe et même à la drogue (la zetla). Outre cheb Khaled et cheb Mami, le premier originaire d?Oran, le second de Saïda, c?est à l?évidence cheb Hasni, assassiné en 1994, qui est le précurseur du «raï lover» qui a donné au genre ses lettres de noblesse, donc une grande popularité en Algérie. Plus tard, les styles de raï foisonnent et se diversifient, créant ainsi un inventaire interminable de succès et de tubes : cheba Djenet, cheb Hacen ou encore Réda Taliani? Chaque saison d?ailleurs, l?on a droit à un florilège de chansons suscitant l?engouement des jeunes et même parfois des personnes âgées. Ce sont des chansons évanescentes qui, conçues sur mesure, n?existent que l?espace d?un temps, agissant sur notre sensibilité, créant des humeurs et des sentiments. Aujourd?hui, les chansons abondent et les chebs et chebate pullulent ; mais la plupart d?entre eux et d?entre elles ne font que des apparitions furtives dans le paysage musical, ne survivant pas aux aléas du temps, dans la lumière juste le temps d?un tube puis s?éclipsant. Et c?est là, à ce niveau, que se dessinent en grandes lignes les limites et les insuffisances du raï. Le raï est certes en pleine effervescence, mais il est en même temps en pleine décadence.