Résumé de la 2e partie Le docteur Finley accélère l?accouchement et dégage enfin le bassin du bébé. Il constate que ce dernier n?a pas de jambes. Il y a bien longtemps que le docteur Finley a oublié, comme il a pu. Il a pris sa retraite dans une petite ville du Wisconsin, sa ville natale. Il fait maintenant partie de l'Association des anciens de Saigon, et, une fois par an, il assiste à la soirée traditionnelle. Banquet, concert, congratulations, souvenirs. Cette année-là, le docteur Finley a bien failli ne pas assister au banquet traditionnel. Il se sent devenir vieux et morose. Il souffre de rhumatismes et l'Indochine n'est plus ce qu'elle était, même dans ses souvenirs. Cette femme qui l'aborde, il ne la reconnaît pas. Elle a une voix gaie : «Mme Folk ! Vous ne vous souvenez pas ?» Non, le docteur ne se souvient pas. Ce visage ne lui dit rien. De petites rides tranquilles l'ont envahi. Il ne l'a connu que dans la douleur. Elle paraît joyeuse. «Mais si, voyons, dit la femme, Danaë Folk ! Mon mari était à la légation, vous m'avez aidée à accoucher, il y a dix-sept ans ! Je vous ai causé assez de soucis, des mois de couveuse et de soins, ma petite Carole, rappelez-vous !» Enfouie depuis des années, muette, la petite voix sourde résonne à nouveau dans le crâne du docteur Finley... Le souvenir le plus effroyable de sa carrière... Il se force à sourire en hochant la tête et réfléchit à toute vitesse. Que dire ? Comment demander des nouvelles ? Se risquer au traditionnel «votre petite va bien, elle doit être grande maintenant» ? C'est impossible, ça ne passerait pas. Alors il écoute, il se tait et il écoute. Toujours nerveuse, Mme Folk, toujours pleine de vie, elle raconte avec volubilité. Certes, elle a eu du mal. Ils ont tout essayé, son mari et elle, les prothèses ne sont pas au point et l'enfant a été longtemps fragile. «Venez voir, docteur Finley... Venez entendre surtout... Après tout, c'est vous qui l'avez mise au monde !» Sur la scène préparée pour le concert traditionnel, au milieu de l'orchestre, le docteur Finley aperçoit alors une jeune fille en robe longue. Elle est assise devant un piano, immobile, les mains posées sur le clavier. Il ne la voit que de profil. Un profil grave, un petit menton, des cheveux drus, noirs et bouclés, sur un front volontaire. Un nez droit. Carole Folk n'est pas une beauté, elle a une tête. C'est à peine si l'?il exercé du médecin décèle la courbure du dos, la position assise est presque impeccable. Il entend la voix de la mère comme dans une caverne : «Elle compose elle-même sa musique, son professeur est enthousiaste, il songe à une série de concerts. Je ne sais pas d'où lui vient tout ça ! Personnellement, je ne connais rien à la musique et mon mari non plus. Carole chante, joue et compose depuis l'âge de sept ans ! C'est une enfant surdouée, elle ira loin ! J'étais désespérée quand elle est née. Vous vous souvenez ?» Le même frisson glacial saisit le docteur Finley. Le même frisson qui prend aux jambes et crispe le dos... Il sourit sans savoir qu'il sourit et il s'entend répondre d'une drôle de voix bête : «Compliments, madame !»