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Au coin de la cheminée
Sid El-Mkarrek (1re partie)
Publié dans Info Soir le 25 - 08 - 2003

Il était une fois, dans une lointaine contrée du Grand Sud algérien, une vieille veuve et son fils unique qui vivaient sous la tente, la plus misérable de la tribu El-Mouhad. Le jeune homme était surnommé «El Mkarrek fi koul chouka mouwarek» (1) Au lieu de garder son troupeau, le vilain s?endormait lové au creux d?un ravin laissant chèvres et moutons errer à leur gré. Il n?était pas rare que le renard ou le chacal lui en dérobât quelques-uns au grand désespoir de sa pauvre mère !
Le jour du marché, les nomades allaient à la ville pour vendre ce qu?ils avaient ramené dans leurs bagages lors de leur séjour d?hiver au Grand Sud : du gros sel luisant, du sucre en petits blocs, des dattes fraîches, sèches ou écrasées, des épices finement moulues, des feuilles de henné odorantes, des poteries aux dessins naïfs et que sais-je encore?
Les gains de leur vente étaient alors investis dans l?achat de denrées de première nécessité : huile, thé, sucre, semoule et quelques babioles pour flatter les femmes.
El-Mkarrek, sous la menace du bâton maternel, était bien obligé d?accompagner ses oncles au marché. Mais dès que la camp disparaissait au loin, invariablement, le jeune homme disait à l?un de ses cousins : «Tiens, prends ce que ma mère m?a confié. Vends ces denrées, tu te débrouilleras certainement mieux que moi !»
Flatté, le cousin se chargeait de la vente et El-Mkarrek avait vite fait alors de disparaître derrière la première dune de sable pour aller dormir d?un profond sommeil à l?ombre d?un palmier.
Le soir, quand il entendait le muezzin appeler à la prière du dohr, El-Mkarrek allait se poster à la croisée des chemins. Les cousins, généralement, ne tardaient pas à rentrer chargés de victuailles du marché. Avec l?argent rapporté par son cousin, il leur achetait ce dont avait besoin sa mère. Très souvent, il arrivait même à les duper car il était non seulement très rusé, mais surtout le plus fieffé des menteurs !
Un jour, comme l?herbe commençait à se faire rare et que moutons et chèvres maigrissaient à vue d??il, le sage de la tribu décida : «Nous allons quitter demain à l?aube cet endroit ; Ali, l?émissaire que j?ai dépêché la semaine dernière, a découvert au nord une vallée qui semble inhabitée et où les pâturages verts et tendres sont arrosés par des sources qui jaillissent de toutes parts». Le lendemain, après la prière de l?aube, les tentes furent démontées et les chameaux chargés.
Pour tirer du sommeil son paresseux de fils, la pauvre dut verser une outre d?eau sur son visage et faire tomber sur lui la tente entière. Il daigna alors se réveiller et suivre, de mauvaise grâce, le convoi qui s?éloignait en glissant sur le sable semblable à un énorme serpent.
La tribu marcha longtemps et arriva la nuit tombante dans une vallée verdoyante : or, dans cette contrée, vivait El-Ghoul, l?ogre aux sept visages.
Au petit matin, à la vue du campement des nomades, il s?exclama : «Par mes aïeux, je sens la chair fraîche !».
Il se léchait déjà les babines en admirant les moutons, les chèvres et les chameaux qui paissaient tranquillement.
«Il y a même des bambins, se dit-il en se frottant les mains, ô ! mes amis c?est mon mets favori !»
Alors, prestement, il se transforma en homme, jeta sur ses épaules un beau burnous de laine blanche, enveloppa sa tête d?un turban léger de couleur grège, prit dans une main une canne de bois précieux et dans l?autre un chapelet onéreux. D?une démarche altière, il s?approcha du campement et interpella de loin les nomades : «Qui vous a donné la permission, nobles gens, de vous installer ainsi sur mes terres ?»
Les hommes vinrent à lui et se confondirent en excuses. L?ogre reprit : «Je suis un taleb (2) au service de Dieu, retiré dans la montagne à longueur d?année : j?enseigne le Coran aux jeunes. Je garde auprès de moi les meilleurs élèves que j?envoie, accompagnés de leurs parents, en pélerinage à La Mecque à mes frais».
Le saint homme fit grosse impression sur la population nomade : quel bonheur ! se dirent-ils et ils se promirent tous d?envoyer, dès le lendemain, leurs chérubins étudier chez le taleb au grand c?ur.
Chaque soir, un nouvel élève ne rentrait pas au campement et lorsque d?aventure un parent venait à dire : «Hier mon fils n?est pas rentré, le taleb l?a gardé». Et cela, dit avec une pointe de fierté ! Les autres, loin de s?inquiéter de cette disparition, l?enviaient au contraire et pensaient : «Son fils est doué, le bienheureux, il va donc aller en pèlerinage cette année !»
Un jour, Malek, un élève revint chez le taleb après la sortie des classes, car il avait oublié son livre de prière chez son ami, retenu ce soir-là par l?ogre.
Ce qu?entendit et vit Malek la glaça de terreur. (à suivre...)
(1) El Mkarrek veut dire lové. En arabe cela signifie «le lové en tout coin affalé».
(2) Etudiant ou enseignant religieux.


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