Portrait Elle était différente de ses cinq frères et de ses deux s?urs par ses goûts et son comportement. Soumeur est aujourd?hui un petit village perdu dans le Djurdjura mais il a été, au XIXe siècle, l?un des hauts lieux de la résistance nationale à l?invasion et à l?occupation coloniales. Ses maisons, ses ruelles tortueuses, ses rochers et ses fontaines résonnent encore du bruit des balles et des cris des héros et des héroïnes tombés pour la liberté? C?est à Ouerdja, dans les environs de Soumeur, dans une maison qu?on dit encore debout, qu?est née celle qui va incarner la résistance à l?envahisseur : Fadhma? Il n?y avait pas encore à l?époque d?état civil, c?est pourquoi la date supposée de sa naissance, 1830, est présumée. Présumée mais symbolique puisque 1830 est l?année de la prise d?Alger par les Français, prise qui devait préluder de l?occupation du pays? Fadhma est d?origine maraboutique, c?est-à-dire que sa famille appartient à la caste des religieux qui, en Kabylie, gérait, à cette époque, le sacré et ce qui en dépendait : religion, instruction, affaires personnelles étaient du ressort de cette famille. Le père de la future héroïne, Sidi Ahmed Mohammed, était un savant versé dans les sciences religieuses ; il dirigeait également une école coranique, affiliée à la confrérie des Rahmania de Sidi M?hamed El-Bechtouli, du Hamma d?Alger. Il était respecté de tous et on venait de loin pour l?écouter et lui demander conseil. La jeune fille a dû être influencée par le climat de piété qui régnait dans la maison ; en tout cas, devenu grande, elle se laissera aller à la méditation et au rêve. Elle était différente de ses cinq frères et de ses deux s?urs, par ses goûts et son comportement? Cependant, on dit qu?elle était proche de l?un de ses frères, Si Tahar, avec lequel elle partageait ses jeux et discutait. Elle était très jolie avec sa taille élancée, ses longs cheveux blonds et ses grands yeux bleus. Sa peau était satinée et l?air pur du Djurdjura teintait ses pommettes d?un rouge carmin. On dit qu?elle était très coquette et qu?elle aimait porter de belles robes et des bijoux : ses parents étaient riches et pouvaient lui offrir, ainsi qu?à ses s?urs, tout ce qu?elle voulait? Peut-être même que, contrairement à l?habitude des familles maraboutiques, elle pouvait, après la puberté, sortir. On devine qu?une telle beauté était convoitée par les jeunes gens du village et des environs, mais Fadhma rejetait toutes les demandes, ne voulant à aucun prix aliéner sa liberté. Son père et sa mère essayaient de la faire fléchir. «Untel est un beau parti, il est riche et respecté ! ? Je ne veux pas me marier, répétait à chaque fois la jeune fille. ? Mais pourquoi ? Tu ne vas pas rester toute ta vie célibataire ! ? Je préfère attendre encore !» Et elle attend. Et comme les prétendants se font plus nombreux et surtout plus pressants, elle se met à simuler la folie et la possession. «Fadhma, que t?arrive-t-il ?, demande sa mère, désespérée. Tu n?étais pas comme cela ! ? Je ne veux pas me marier ! ? Si tu continues à te comporter de la sorte, tu vas éloigner à jamais les prétendants ! Tu en pâtiras, toi, mais aussi tes s?urs !» Mais Fadhma n?en a cure : elle ne veut pas se marier et elle se moque de ce que les gens diront ! (à suivre...)