Les origines du raï ont pris un pan important du débat sur cette musique. Il n?est pas évident de trouver les marques qui situent avec une exactitude minutieuse le point de départ qui a vu naître le phénomène. Certains musicologues n?hésitent pas à parler d?un «cumul» d?indices qui remonteraient au début du siècle. Le raï serait la sève ou le produit de plusieurs tendances musicales résultant des mélanges savants, orientaux, occidentaux et juifs. «La reconstitution de ce qui va nourrir cette musique (le raï, ndlr) englobe pratiquement toutes les formes et tous les styles qui font le paysage musical de l?Oranie durant près d?un siècle : musiques officielles et chansons de rue, airs du pays ou mélodies venues d?ailleurs, couplets sacrés et chants profanes, chansons à boire et bluettes sentimentales. C?est de ce florilège totalement assumé que le raï va s?inspirer pour dire son présent, empruntant ici un couplet, là un air, ailleurs une expression. À ce titre, malgré ses détracteurs, le raï est bien une représentation d?un terroir, d?un peuple, d?une histoire.» Du point de vue de la sémantique, le mot raï désigne «l?état d?esprit». Cette définition est plus proche du lexique populaire. Quand un individu gâche sa vie, on dit «raï etalef». Reste que l?étymologie est susceptible d?être discutée. En outre, la «citadinisation» du bédoui traditionnel dans les années 30 à 40 allait marquer, d'une manière décisive, l'avenir du raï avec des chanteurs comme Hachemi Bensmin, cheikh Madani, cheikh Hamada et Abdelkader Khaldi. Ce dernier est le plus prolifique d?entre eux. Poète et interprète, formé à l'école coranique puis au lycée français, il s'imprégna des plus grands poètes du melhoun du terroir, et lors de son exil au Maroc en 1927, il s?est familiarisé avec les maîtres du genre?. «Les textes de ce dernier vont innerver la chanson oranaise durant plus de cinquante ans. Il se singularisa par ses textes amoureux dans lesquels il chantait ses multiples conquêtes.» La plus célèbre fut Bakhta reprise un demi-siècle plus tard par cheb Khaled. Le raï a suivi un chemin sinueux avant de connaître la gloire et d?être reconnu ou plutôt récupéré. La musique était considérée à l?emporte-pièce comme la musique du diable et ses chanteurs stigmatisés à cause de leur réputation sulfureuse. On leur reproche de jeter leur gourme en magnifiant l?amour physique hors normes. Se recrutant dans les milieux libertins. Ce côté «ribaud et dévergondé» va longtemps peser sur le genre avant d?être dépassé et banalisé. Cependant, on ne peut nier cette énergie «luciférienne» qui met les férus du raï dans un état second. La transe, beaucoup la connaîtront surtout quand le raï sera modernisé et accessible à tous, d?où sa popularisation. Du guellal au synthétiseur, du cabaret au studio d?enregistrement, le raï aura suivi un parcours que peu de musiques ont eu la chance de faire. Plus la société étouffait dans un carcan rigide, plus le raï gagnait en popularité et les tentatives de le brider échouaient. C?est le schéma classique que prennent habituellement les formes de provocation, lesquelles, dans un contexte rédhibitoire, peu enclin à l?ouverture, constituent un réflexe de rééquilibrage des rapports de force. L?introduction des instruments de musique moderne a permis au raï d?explorer d?autres mélodies et de transcender son domaine de prédilection. Il est arrivé, grâce notamment à la nouvelle vague de chanteurs, à rivaliser avec les plus grandes musiques du monde et même à les influencer. Les airs raï font désormais partie des répertoires de Sting avec Désert rose en duo avec Mami.