Querelle Quelques hommes mûrs essaient de mettre fin à l?incident, mais maintenant on en vient aux mains. Dans la cour, tout juste après les femmes, le repas est servi aux hommes sur les tables où ils ont pris place, face à l?orchestre local qui n?arrête de jouer que pour dîner. L?ambiance est chaleureuse. À une table à part, les hommes venus avec la mariée et qui sont chargés de ramener les femmes du cortège font l?objet d?une attention particulière. Le père de la mariée, Slimane, est là aussi. C?est sous l?aile de son burnous que sa fille est entrée dans sa nouvelle demeure, signe symbolique d?obéissance filiale. Mais Slimane touche très peu aux plats qui sont devant lui, tandis qu?autour de lui, on fait honneur au repas. Il sent que la moutarde lui monte au nez, bien qu?il essaie de se retenir : il vient de découvrir qu?un jeune homme de la famille du marié, discrètement caché dans l?ombre de la maison, s?est approché de la fenêtre et lance de fréquents coups d??il dans la pièce où se trouve la mariée et «el-hrim». N?en pouvant plus, il se lève brusquement et se dirige vers le jeune homme en lui lançant : «Le spectacle te plaît, chien ?» Ses fils le suivent, puis tous les autres. Le mis en cause recule et s?enfuit. Mohamed, alerté, tente d?intervenir et de calmer Slimane, mais le jeune homme qui s?est enfui en proférant des injures, ravive sa colère. On discute, le ton monte des deux côtés. Quelques hommes mûrs essaient de mettre fin à l?incident, mais maintenant on en vient aux menaces, des poings se lèvent, la bagarre n?est pas loin? Alors, slimane, excédé par l?attitude de Mohamed qui veut le persuader que le jeune n?a rien fait de mal, déclare : «Bilharam ! Ton fils n?épousera jamais ma fille !» Et, se retournant, il va droit vers la pièce où se trouve la mariée. La femme de Slimane qui a tout écouté, médusée, ce qui s?est dit, accourt à sa rencontre. Allez, prenez vos affaires, prends ta fille et rentrons ! Sa femme pousse un cri, le supplie ; des hommes interviennent, tentent de le faire changer d?avis, mais en vain. Il reste de glace, le visage figé, sans un mot. Un grand désarroi règne chez les femmes. Pressées par Slimane, elles sortent les unes après les autres et retournent dans la maison de la mariée dans des taxis qui avaient été spécialement appelés du village. La mariée, retenant ses larmes, sort la tête haute. Un silence se fait quand elle passe. Tous les yeux sont braqués sur elle. Sa voiture s?éloigne derrière les autres. Mohamed, un moment submergé par le désespoir, se ressaisit brusquement et, se tournant vers son cousin Tayeb, il lui dit : - Tayeb, tu as une fille en âge de se marier ? L?autre, qui tombe des nues, murmure «Oui? oui, mais? il n?y a pas de mais ! Allons, dis aux femmes de la préparer à prendre la place de la fille de Slimane. Nous allons lire la «fatiha». On palabre, on discute. Les femmes, sorties devant la porte, donnent leurs avis, ravies de damner le pion à cet orgueilleux de Slimane. Il n?est pas le seul à avoir une fille ! Nous allons lui montrer ! Alors, éberluée, la fille de Tayeb est entourée par les femmes. Sa mère l?embrasse, tente d?obtenir son accord. La jeune fille se met à pleurer, puis baisse la tête, sans un mot. Son silence est pris pour un acquiescement. Une heure après, elle prend la place encore chaude de la fille de slimane, toujours silencieuse, les yeux rougis par les larmes. C?est depuis ce jour que date le proverbe «Laâroussa fouk el-korsi, la têdri limen trassi».